Si l’utopie noire de Beyoncé dans Black Is King (une réécriture visuelle et musicale du Roi Lion, réalisée et produite par la star, sortie au cours de l’été sur Disney+) déborde de grandeur, d’opulence, de voitures de luxe et de majordomes, le rêve noir présenté par Tyler Mitchell à travers les 200 et quelques pages de son livre semble, lui, moins aspirationnel. Et alors que Beyoncé – qu’il photographiait en couverture d’un des magazines de mode les plus prestigieux au monde devant un drap tendu sur une corde à linge (un “symbole du corps domestique noir”, comme il l’expliquait à i-D) – enjoint les Noirs d’Amérique et d’ailleurs à revendiquer une ascendance royale, Tyler Mitchell valorise de son côté, tant dans la composition que dans la douceur des couleurs, la banalité d’un après-midi d’été passé à ne rien faire d’autre que regarder sa crème glacée fondre et à attendre que le temps s’écoule. Bizarre ? Pas exactement. En affirmant le droit des Noirs à la contemplation, à l’oisiveté voire à l’ennui, comme on pouvait le voir stylisé sur Tumblr – mais avec des corps blancs – fin 2000 à 2010 (Tyler admet d’ailleurs volontiers l’influence majeure qu’a eue la plateforme sur son travail), la photographie de Mitchell s’inscrit en réalité dans la droite lignée des revendications des manifestants Black Lives Matter, pour qui la libération n’en est encore qu’au stade de rêve. Et ce, en dépit du regain d’intérêt pour le mouvement suscité par la mort de George Floyd au mois de mai. Le droit, en étant noir, de marcher dans la rue à l’heure que l’on souhaite, de conduire et même éventuellement d’oublier de mettre son clignotant, de faire une sieste à la bibliothèque universitaire, un barbecue dans un parc, de commettre des erreurs… Le droit de vivre, en somme, sans risquer d’être tué des mains de la police.
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