M. Vous parlez de cette “musique de filles pour les filles” mais justement, en termes de représentations féminines, le R&B proposait peu de modèles d’émancipation. Vous parlez notamment du courant “R&B conscient”, qui, sous couvert de parler de sujets de société, avait tendance à ne valoriser qu’une seule figure féminine, celle de la “battante”, la “grande soeur” qui se respecte, restant dans des injonctions moralisatrices, dénigrant les “filles faciles” comme vous l’expliquez dans le livre…
R.T. Il y a beaucoup de clips dans les années 90 et même jusqu’au début des années 2000 où l’on voit des femmes qui voyagent ensemble, qui font des soirées, ou des choses plus politiques, comme dans le morceau Femmes de Jalane qui était assez émancipateur dans ce qu’elle raconte. ça a été le cas jusqu’en 2004 et l’arrivée de Donna de Wallen. Ce titre a très bien fonctionné. Et donc à partir de là, tout le monde a voulu parler de “la petite soeur”, on a commencé à avoir moins d’images émancipatrices, à vouloir limiter un peu plus le mouvement des jeunes filles. Pour autant, à la même période, plusieurs propositions pouvaient cohabiter ensemble : Petite soeur de Kayliah emmenait ce type d’injonction, mais sur le même album, elle chantait aussi Belly Dance !
M. Au mitan des années 2000, le R&B variété est devenu la norme avec des artistes comme Sheryfa Luna, Lââm, Nâdiya ou Tragédie. Est-ce que l’industrie, alors empêtrée dans la crise du disque, a tué le genre elle-même en misant sur des projets commerciaux ?
R.T. Pour moi, oui complètement. Dans la mémoire collective, le R&B c’est les années 2000, voire les années 90 avec No Blaggadda de Vibe, mais sinon on pense à Matt Houston, Wallen, etc. Pourtant, si on regarde la discographie, beaucoup de choses sont sorties dans les années 90, notamment en 1998. Mais en termes de mainstream, on considère que la scène existe à partir du moment où elle devient populaire. Pour le R&B, ça a été lors de la vague 2003- 2004, avec une popularisation du R&B variété mais aussi du Raï’n’B qui commence à avoir une visibilité qui dure jusqu’au début des années 2010. A ce moment-là, les artistes pionniers se sont dit “il n’y a plus de marché pour nous”. Avec la crise du disque, certains projets ont été prioritaires par rapport à d’autres. Pourtant, le rap n’a pas été si touché que ça mais en revanche, c’était les raisons qui étaient donnés aux artistes R&B pour dire que leur album ne pourrait pas se faire. Beaucoup d’artistes ont arrêté. D’autres se sont dirigés vers le zouk ou sont partis en indépendant.