Debbie Baone Superpower – Gaborone, Botswana © Paul Shiakallis

Votre livre de chevet est “L’Appel de Cthulhu” de Lovecraft, vous collectionnez les tee-shirts merch’ achetés en concert et vous avez tendance à broyer du noir ? Il y a de fortes chances que la musique de métalleux soit derrière tout ça, comme nous le chantent actuellement en chœur un essai sociologique et une exposition qui fait grand bruit.

Kourtney Kardashian et Travis Barker, se roulant dans tout ce qui à trait à l’univers musical du metal et a fortiori vestimentaire, leur alter ego, le couple formé par l’actrice sans grande envergure Megan Fox et le musicien Machine Gun Kelly ou encore Olivia Rodrigo, qui nous gratifie aussi d’une esthétique dark à mille lieux de son passé d’enfant star de Disney… Les tentatives mainstream de réhabilitation de la figure du métalleux passent aussi par la pop culture comme la série “Stranger Things” (le chevelu et fan de “Donjons & Dragons”, Eddie Munson) et la franchise “Mad Max Fury Road” avec une Furiosa qui vient équilibrer la balance des genres.

“Furiosa : une saga de Mad Max”, 2024.

Sans oublier les marques Balenciaga, Vetements, Y Project, Diesel, et toute personne gravitant dans la galaxie de Rick Owens, perfusées aux codes esthétiques qui ont “No fear of The Dark”, pour reprendre le titre de l’essai du sociologue allemand Hartmut Rosa, publié ce mois-ci aux éditions de La Découverte. Et il sait de quoi il parle, puisqu’il en est un fervent disciple. Heureuse coïncidence, la Philharmonie de Paris accueille actuellement l’exposition “Metal Diabolus in Musica”, tandis qu’Arte.tv fourmille de documentaires et de concerts consacrés au genre. De quoi prouver au commun des mortels que le metal ne se limite pas qu’à une prestation grandiloquente d’un sombre groupe norvégien sur la scène de l’Eurovision ou à des séquences filmées de festivaliers éméchés au Hellfest montrant leurs fesses à la caméra de l’émission Quotidien.

L’armée de l’ombre

 

L’exposition monstre qui se tient en ce moment et jusqu’au 29 septembre, à la Philharmonie de Paris offre un passage en revue complet et détaillé de tout ce qui façonne le metal : musique, vestiaire ultra codifié, productions visuelles et esthétiques, retombées dans la culture populaire, objets divers issus du merchandising. Riche et foisonnant, le metal a engrangé un univers fourmillant de sous-genres et sous-sous-genres, allant du grunge et hard rock jusqu’au nu metal, heavy metal, doom metal, glam metal, gothic metal, thrash metal, black metal, death metal… La liste est encore plus longue que les doléances des Français adressées au président Macron. À la différence que ceux-ci n’ont pas fini aux oubliettes, poussés sans relâche par des fandoms passionnés et dévoués. Quid du succès incontesté du Hellfest ? Chaque année, c’est en moyenne 240 000 personnes qui affluent pendant quatre jours à Clisson, devenu depuis la création dudit festival en 2006, le Paradis, on devrait-on dire, l’Enfer sur Terre, des metalheads et attisant la curiosité de plus en plus de non-initié·e·s. Les plus avertis auront aussi remarqué que les murs du métro, parisiens en l’occurrence, ne désemplissent jamais d’affiches promotionnelles pour des concerts de metal – Deep Purple, Dream Theater, Megadeth qui rebranchent régulièrement les guitares en live, remplissant encore des Zéniths et autre adidas Arena, défiant ainsi toute logique marketing. Car comme le souligne Hartmut Rosa dans son essai : “De l’Indonésie au Brésil en passant par la Scandinavie, le Japon ou la Mongolie, le metal est l’une des musiques les plus populaires au monde bien qu’elle soit diffusée, jouée et écoutée en dehors des réseaux médiatiques dominants.” En attestent les photos de Frank Marshall et Paul Shiakallis prises entre 2014 et 2017 consacrées à la scène metal au Botswana, que l’on peut apercevoir dans le cadre de l’expo Metal. Bien que principalement de manufacture occidentale, le metal s’adapte aux codes esthétiques propres à chaque sphère culturelle locale et comme l’explique Paul Shiakallis dans le cadre de l’exposition à la Philharmonie, “dans les sociétés plus conservatrices, en particulier celles guidées par des croyances religieuses, (…), le style de vie heavy metal symbolise la rébellion.”

Cannibal Queen Cadesha – Maun, Botswana © Paul Shiakallis
Vaselyn G-Wawa – Lobatse, Botswana © Paul Shiakallis
De bruit et de fureur

 

Mais de quoi le metal est-il le nom ? “L’origine du terme reste controversée. Certains exégètes font référence aux deux romans de William S. Burroughs, “La Machine molle” (1961) et “Nova Express” (1964), dans lesquels il est question de Heavy Metal People of Uranus, et même de Metal Music. (…) D’autres font remonter la naissance de ce courant musical à l’iconique “Born to be Wild” du groupe Steppenwolf (…), chanson qui évoque le heavy metal thunder, c’est-à-dire le vrombissement furieux des moteurs des grosses motos. (…) Mais ce n’est pas seulement l’écho du vrombissement des motos qui résonne dans le son metal aux guitares saturées ; c’est aussi le martèlement des forges d’acier des villes industrielles. Ce n’est pas un hasard si le centre anglais de la métallurgie, Birmingham, est aussi le berceau de deux pères fondateurs du heavy metal, Black Sabbath et Judas Priest”, peut-on lire dans “No Fear of The Dark”, qui détourne le titre phare du groupe Iron Maiden, alias la “Vierge de fer”. Pas surprenant donc que metal et métal se confondent lorsqu’on pense à la tenue femme-robot de Thierry Mugler période 90’s portée par Zendaya à la première du film Dune II, aux bijoux et sculptures extraterrestres de Lynda Benglis pour Loewe (printemps-été 2024), mais aussi à l’œuvre brute du designer Ben Storms présenté au dernier Salone Del Mobile à Milan… Au-delà du son, c’est aussi toute une panoplie de codes esthétiques et signes distinctifs qui tabassent.

Série “Renagades” © Franck Marshall
Série “Renagades” © Franck Marshall
Full metal jacket

 

Parmi eux, les mouvements de foule et danses comme le mosh pit, crowd surfing, pogo et wall of death (repris par DJ Snake lors de ses concerts) mais aussi cette fétichisation extrême du fan merchandising. Pour preuve, on retrouve à l’exposition de la Philharmonie une reconstitution à échelle humaine du studio type d’un fan de metal : l’affiche du film Beavis & Butthead do America (parce qu’on a de l’autodérision dans ce milieu), un frigo en forme d’ampli Marshall, une guitare B.C. Rich Warlock Prophecy, des gobelets en plastoc provenant du Hellfest posés sur la table basse, la Black Sabbath Cross Box collector… Taylor Swift et ses Swifties peuvent aller enfiler des perles sur leurs bracelets de l’amitié, l’objet à destination du fan a été initié par le groupe Kiss devenu au fil de son existence une Foir’fouille à lui tout seul : décapsuleur, flipper, tétine pour bébé… Le merch’ devient un totem identitaire et sentimental. Et aux fans de signer leur appartenance par l’accumulation de bijoux (les pendentifs pentagrammes, les bagues têtes de mort…), de patchs sur leur veste en jean appelée kutte (comme celle, magnifique, de Rob Zombie avec son col léopard, exposée à la Philharmonie), et d’artifices corporelles comme les tatouages ou le maquillage. Dans ce vortex où le sens du détail est poussé à l’extrême, le tee-shirt de groupe s’est hissé en tête des objets (de) culte(s). Jusqu’à tomber dans les filets de la fast fashion, des marques comme H&M, Zara, Pull&Bear n’hésitant pas à exploiter le filon à leur compte (des tee-shirts Metallica en taille enfant, qui n’en veut ?).

The Final Shows Souvenir Jacket, KISS
Débardeur “Metallica”, Pull&Bear

Mais la récupération la plus mainstream dans l’histoire du metal, on la doit à l’artiste Mark Riddick, connu pour signer le visual art de groupes comme Morbid Angel et Rotting Christ (vous sentez la vibe ?), et qui s’est retrouvé à faire du fan merch’ et des logos pour Kanye West, Rihanna ou encore Justin Bieber. L’année dernière, c’est Doja Cat qui a missionné Dusty Ray pour la pochette de son quatrième album “Scarlet’ – les sujets de prédilection de l’artiste ? Des corps mutilés, des araignées, des organes en gros plan, et une grosse utilisation de la peinture rouge. En mode récupération, citons également la collaboration du groupe de nu metal Deftones avec Stray Rats et Heaven by Marc Jacobs l’année dernière, avec pour égérie M3gan, la poupée psychopathe du film du même nom. Méta, non ?

“Scarlet”, album de Doja Cat, 2023
“Mexican Underground Metal 1984 – 1994” de Tony Juarez (Reborn from Ashes ‘zine), éditions Schattenmann et illustré par Mark Riddick
Une esthétique d’enfer

 

Si les références culturelles du metal sont multiples (littérature fantastique d’Edgar Allan Poe, l’héroïc-fantasy de Tolkien, l’opéra classique, la peinture de la Renaissance de Jérôme Bosch, la poésie romantique de Baudelaire, l’univers dérangeant et science-fictionnesque de H.R. Giger), Le sociologue Hartmut Rosa confirme noir sur blanc dans son essai que c’est “un mouvement à dominance masculine et blanche : mais quid de la question du genre ?, interroge-t-il. À première vue, les faits semblent clairs : le metal est une musique d’hommes pour les hommes, largement machiste et tendanciellement sexiste. On y trouve malheureusement une surabondance de pochettes et de textes misogynes. Mais si l’on regarde de plus près, le tableau change du tout au tout. Car le metal a produit depuis le début d’éminentes musiciennes frontwomen et groupes exclusivement composés de femmes comme Girlschool, Vixen, Thundermother, Joan Jett, Lita Ford, Lee Aaron… (…) On observe également une inversion troublante des stéréotypes : le look androgyne y est quasi omniprésent (…).”

Série “Renagades” © Franck Marshall
Série “Renagades” © Franck Marshall

Les cheveux longs (ou “hair metal”) hérités du glam rock, le maquillage et le cross-dressing emprunté à la scène drag sont autant d’éléments constitutifs du metal. Pour beaucoup, l’amour pour le metal ne vient pas sur le tard. Il arrive très tôt, à l’adolescence, à l’âge où l’on se cherche et se construit, où la société nous catégorise. En plein âge ingrat lorsqu’il découvre le metal, le sociologue Hartmut Rosa, parle “d’un contre-monde secret (…) d’où les figures d’autorité (adultes, parents, professeurs) étaient exclues.” Dans une récente interview donnée au magazine Technikart, Loïck Gomez (alias BFRND responsable des bandes-son des défilés Balenciaga), se voit demander par le journaliste si “c’est par désir d’appartenir au crew des freaks” qu’il rejoint ado la petite salle de concert orientée metal près de chez lui. Sa réponse dévoile un acte salutaire : “C’est plutôt que je viens d’une famille où je n’étais pas accepté, ni avec ma sexualité, ni avec mon look. Et quand j’ai vu ces gens, c’était la première fois de ma vie que je vivais le contraire. Et je me suis aussi rendu compte plus tard qu’on ne m’a jamais questionné sur ma sexualité là-bas, et qu’on m’a respecté (…).” Rob Halford chanteur de Judas Priest aura attendu 1998, pour faire son coming out. Soit 25 ans après ses débuts. Par peur du jugement du milieu. Pourtant depuis 51 ans, les fans n’ont jamais cessé de le considérer comme le “Dieu du Metal” ultime.

Bontle Sodah Ramotsietsane – Gaborone, Botswana © Paul Shiakallis