Campagne Calvin Klein avec Jeremy Allen White

Du no pants au retour du string apparent en passant par l’éternel sagging, le vestiaire actuel tape volontiers en dessous de la ceinture, visant toujours plus le fantasme que la réalité. Qui porte réellement la culotte ?

En avril dernier, le magazine Vogue France décrochait un entretien et shooting exclusifs avec notre reine de la pop à nous (francophone, donc), Céline Dion. En couverture, sa première pour Vogue, Céline Dion est flamboyante, immortalisée dans une pose spontanée transpirant les « good vibes », nue sous une large chemise blanche en popeline de coton et flanquée d’une mini-jupe cycliste en jersey – qu’on jurerait être un boxer d’homme – Balenciaga. Le portrait en noir et blanc est devenu instantanément i-co-ni-que.

Vogue, mai 2024.
W, The 50th Anniversary Issue, février 2024.

Naomi Campbell en couverture du numéro anniversaire de W magazine pour ses 50 ans, en robe Schiaparelli Haute Couture ajourée et culotte haute, Sarah Jessica Parker-alias-Carrie-Bradshaw vue dans les rues de New York, en plein tournage de la saison 3 de SATC-And Just Like That… portant là aussi la culotte haute sous une robe transparente de Simone Rocha… Trois exemples qui ont dépassé l’âge de se balader en culotte courte. Un bon point pour cette tendance dite « no pants » qui ne fait certes pas dans l’âgisme mais qui n’arrive guère à franchir la barrière de la vraie vie : parce que trop frileux-euse, parce que camel toe, parce que pas franchement body-positive, parce que peur du harcèlement de rue ? Un peu de tout ça à la fois. Reste que le bas de sous-vêtement visible monopolise l’attention sur les podiums et tapis rouges, des shows Prada et Chanel à Kristen Stewart en body échancré noir Bettter. Et même si les dessous ont depuis longtemps pris le dessus, une multitude de questions nous taraudent encore : avons-nous relégué l’austérité vestimentaire au vestiaire ? Est-ce l’une des conséquences directes du réchauffement climatique ?

Défilé Prada, Homme SS24.
Défilé Balenciaga, Pre-Fall 24.
Sport étude

 

Le pantalon porté sous les vêtements au XVIIIe siècle s’est vu raccourcir en culotte pour des raisons d’hygiène. Comme le souligne National Geographic dans un article : « Avant même le 19e siècle, les culottes ont émergé, élément pratique des tenues masculines comme féminines car elles permettaient d’absorber la saleté et la sueur sans salir la partie extérieur des vêtements »… Cette notion d’hygiène du corps va au fil des siècles glisser vers la pratique sportive. Quel rapport ? Entre le monde du sport et le vestiaire féminin, c’est toute une histoire peu glorieuse du raccourcissement du vêtement pour mieux performer la féminité et répondre à des normes esthétiques genrées. Comme l’explique très bien l’épisode « Déshabillez-vous ! » de la série documentaire « Toutes musclées » (Arte.tv) où il est question des tenues problématiques qui ne fait pas grand cas du corps et même de l’anatomie des sportives, que ce soit au tennis, danse classique, beach volley, patinage artistique… Cette réalité s’est récemment rappelée à notre mauvais souvenir, lorsque Nike a révélé les tenues des équipes américaines d’athlétisme pour les JO de Paris 2024.

Le bas de la tenue des femmes est tellement échancré, qu’il a fait sortir de ses gonds la coureuse Lauren Fleshman, championne US du 5000 mètres : “Si cette tenue était réellement bénéfique à la performance physique, les hommes la porteraient. Il s’agit d’une tenue issue des forces patriarcales qui ne sont plus les bienvenues ni nécessaires pour attirer l’attention sur les sports féminins”, a-t-elle réagi sur Instagram. D’aucuns diront que cette image d’Épinal de la femme forte physiquement mais sans un pète de graisse a largement été véhiculée par les figures de l’aérobic des années 80-90, de Jane Fonda à Elle MacPherson mais aussi par les héroïnes aux superpouvoirs et toujours flanquées d’une culotte comme Wonder Woman, charriant son lot d’injonctions et d’assignations sexistes : culte de la minceur, sexualisation extrême et musclées juste ce qu’il faut, de peur de se viriliser et d’“introduire du trouble dans le genre en se présentant sous des aspects contre-intuitifs à ceux que l’on exige d’une femme”. Plus tempéré mais répondant tout autant à l’injonction d’un corps “amélioré” qui cherche à atteindre la perfection, le shapewear – dont Kim Kardashian a le monopole avec sa marque Skims, n’est que la traduction contemporaine de la gaine, qui était déjà la réponse moderne au corset entravant et déformant. Là encore, il est question de performance, de “vêtement intelligent” – “c’est-à-dire un dessous qui sait exactement où il doit agir”, comme le soulignait l’exposition Les Mécaniques des dessous organisée en 2013 au MAD à Paris.

Tirer vers le bas

 

Rien n’a véritablement changé au fil des années. Le trend « avec culotte mais sans pantalon » prolonge toujours autant la tyrannie du corps parfait. Sauf que. Il touche aujourd’hui (relativement) autant les femmes que les hommes. C’est ce qu’illustre le cas de la dernière campagne Calvin Klein où l’acteur Jeremy Allen White exhibe son six pack impeccable, performant la virilité dans la droite lignée de son prédécesseur Mark Wahlberg. Peu de doute que le bas de sous-vêtement vient souligner les stéréotypes de genre. D’autres tendances annexes alimentent en continu ce biais – comme le jean taille basse à la Britney et Xtina (merci Miu Miu et à la nostalgie Y2K), ou des dérivés plus radicaux comme le string apparent ou le bumster (le décolleté des fesses avec option raie ou string apparents) qui nous la fait à l’envers avec l’aide de Katy Perry (lors de la cérémonie en mars du Billboard Women In Music), Emily Ratajkowski à l’after party du Met Gala ou encore Ludovic de Saint Sernin pour l’automne-hiver 2024-25. Là encore, faut-il suivre à la trace Kylie Jenner lorsqu’elle déclare que quand elle « a besoin d’un boost de confiance en [elle], [elle] aime porter des pantalons taille basse » ? La seule personnalité publique qui donne du sens au port de la culotte apparente est l’actrice Kristen Stewart, qui y voit une manière de se réapproprier son corps et de le politiser, tout en n’hésitant pas à mettre la main au paquet.

Défilé Ludovic de Saint Sernin, FW24-25.
Défilé Ludovic de Saint Sernin, FW24-25.
Laisse pas traîner ton slip

 

Cette tendance de la petite culotte apparente nous renvoie inlassablement à un imaginaire problématique, où au mieux sont convoquées les œuvres du peintre John Kacere (qui a inspiré la scène d’ouverture de Lost in Translation, soit le gros plan sur la culotte transparente portée par Scarlett Johansson), ou les productions mode à l’ère du porno chic (la campagne Gucci avec le pubis rasé en forme de G, souvenez- vous). Au pire, ce sont tous ces vieux obsédés comme Tortue Génial, Nicky Larson ou Maître Célestin dans Ranma ½ (le petit pépé qui vole les sous-vêtements des lycéennes dans leur vestiaire…). Dans la vraie vie, le no pants a plus de chances de rencontrer son public dans les circuits fétichistes et de nourrir fantasmes et autres kinks. Pourtant, son salut IRL est à chercher du côté du boxer short. Petite culotte, string et slip apparents peuvent aller se rhabiller, le caleçon ample d’homme est genderfluid et vit définitivement sa meilleure vie. Boosté par le #boxershorts sur TikTok, il se paye MSGM et JW Anderson (les collections automne-hiver 2024), et même l’affiche de la campagne Gucci 2023 avec l’acteur irlandais Paul Mescal qui réussit à rendre désirable le look caleçon, trench, mocassins et coupe mulet.

Campagne Gucci pour le mocassin Horsebit 1953 avec Paul Mescal, 2023.

L’inspiration Axl Rose n’est pas loin, le chanteur du groupe Guns’N’Roses a toujours foulé la scène torse nu, caleçon et bandana sur la tête, tout comme évidemment celle des rappeur-ses des années 90, 2pac, Aaliyah, TLC en tête de proue, qui ont popularisé le style sagging : le caleçon qui dépasse du baggy est né dans les prisons américaines (la taille unique des habits de détention et la confiscation de ceinture faisaient que le pantalon laissait apparaître les sous-vêtements) et symbolisait un signe de reconnaissance entre anciens détenus. Dans sa version la plus extrême et récupération pour gonfler sa street cred’, cela donne Justin Bieber qui le portait dans ses plus jeunes années jusqu’à mi-cuisse et qui, en 2020, en réponse à un article de CNN sur la fin du sagging, déclarait sur Instagram : “This is a lie from the pits of hell, my pants will stay sagging”. Une proportion à montrer son caleçon qui a valu au chanteur canadien d’être par deux fois égérie Calvin Klein Underwear (en 2015 et 2020), affublé du fameux boxer logotypé et qu’il se plaît encore aujourd’hui à exhiber de son pantalon. Et nous, par une association d’idées des plus simples et basiques, de penser à cette phrase de Marci Klein, fille du fameux créateur en question, remontant à 1994 : “Chaque fois que je couche avec un mec, je vois le nom de mon père sur ses sous-vêtements…” Voilà une bonne raison d’être sens dessus dessous.

Aaliyah en Tommy Hilfiger, 1997.
TLC