Campagne Skims SS23.

Le cycle de la mode, mais aussi celui des crises géopolitiques et socio-culturelles viennent de remettre au goût du jour un phénomène surnaturel (ou pas) : la présence d’extraterrestres parmi nous. Pas besoin d’aller jusqu’aux frontières du réel pour les rencontrer. Au Congrès américain, au Renaissance tour, sur les podiums et sur TikTok, les aliens sont partout.

Lanceurs d’alerte, ovnis et Beyhive

 

Depuis que David Grusch a annoncé avoir remis au Congrès américain des preuves de la vie extraterrestre au mois de juin dernier, c’est la chasse aux aliens. S’il n’est pas le premier lanceur d’alerte dans le domaine, ce militaire qui a travaillé près de 15 ans pour les renseignements américains a la particularité d’être le plus crédible de tous. Il affirme que les autorités militaires américaines possèdent des véhicules d’origine non humaine. Si l’enquête est en cours, sa prise de parole a remis une pièce dans la machine des théories extraterrestres. Dans la foulée, la Nasa a d’ailleurs lancé son premier cycle de conférences dédié aux ovnis en dévoilant des images inédites d’objets non identifiés captés au-dessus d’un village au Moyen-Orient. Une compèt’ pseudo scientifique à laquelle participe également d’autres pays comme le Mexique où un « ufologue » a présenté aux responsables politiques des cadavres « non-humains » ressemblant étrangement à E.T. Il s’agit en réalité des momies de Nazca, une région du Pérou où avaient déjà été retrouvées ce type de reliques qui s’apparenteraient plutôt à un assemblage de restes humains fossilisés.

Tous ces curieux feraient mieux de regarder du côté du Renaissance tour. Plus crédible qu’une momie sud-américaine, Tameer Peak, un fan hardcord déguisé en alien et l’un des plus assidu de la Beyhive a été consacré par Beyoncé elle-même comme étant THE Alien superstar lors de son concert à Philadelphie : “Je voulais juste féliciter l’alien, tu es venu à de nombreux shows et tu plies le game en alien superstar”, a lancé Beyoncé. Une consécration pour le fan qui rendait évidemment hommage au titre phare de Beyoncé, présent dans son dernier album : ”Alien Superstar”. Beyoncé elle-même s’est d’ailleurs muté en Alien sur un t-shirt merch de sa tournée.

Outre les dramas diplomatiques et les concerts de Beyoncé, les aliens s’incrustent aussi au cinéma avec « Jules », la nouvelle comédie événement du réalisateur de « Little Miss Sunshine » mais aussi avec tout un tas de reboot, de « X-Files » à « Men in Black » en passant par le septième volet de la série « Alien » réalisé par Fede Alvarez et attendu pour 2024. Des campagnes aux podiums de défilés en passant par TikTok, les « petits hommes verts » trustent tout autant la mode. Si elle n’est pas nouvelle, cette tendance à la science-fiction traduit une fascination pour un ailleurs, mais aussi une façon de redonner un peu d’espoir et d’élan créatif à un monde qui aurait bien besoin d’autres perspectives que celle de courir à sa perte.

Conquête spatiale : à la recherche d’un plan B

 

S’ils reviennent de façon cyclique dans la pop culture – avec “Alien” en 1979 et “Mars Attack” en 1996 ou “Le 5ème élément” en 1997 – leur présence fait souvent échos à des périodes de crises comme le début des années 80 et la guerre en Iran-Irak et l’angoisse de la fin du monde de l’aube des années 2000. En 2023, on peut facilement y lire une forme de survivalisme où la découverte d’une vie extraterrestre servirait de “plan B” à l’humanité. Vincent Grégoire, directeur de création de l’agence de tendances NellyRodi, voit dans le retour de l’esthétique alien, un questionnement existentialiste : “L’autre méga trend du moment c’est aussi qu’on a besoin de savoir d’où on vient pour savoir où on va. On est obsédés par la conquête de l’espace, avec Elon Musk en chef de cordée dont le mantra est puisque la planète implose, c’est le moment d’envoyer une génération d’élus dans l’espace.”

Prada menswear SS24.
Off-White FW23.

Une conquête spatiale qu’on retrouve au défilé automne-hiver 2023-2024 d’Off-White où les silhouettes en doudounes lamées évoquent les outfits de Thomas Pesquet période ISS. Chez Prada, dont la collection printemps-été 2024 inspirée par les “formes fluides”, le podium était orné de “slime”, une matière gluante faisant référence au sang des prédateurs du film de Ridley Scott. Mais en attendant de pouvoir se prendre un billet pour la capsule Space X, la mode, elle, tente la cohabitation. Dans la dernière campagne Marc Jacobs, réalisée par Carlin Jacobs, Bella Hadid nous présente son double cyborg. Une esthétique rétro futuriste également exploitée par Rabanne qui lance sa gamme de make-up dans le sillage du space age propre à la maison avec notamment des “glitter shot” et des “metal shot”, idéales pour adopter la tendance « chrome » qui brille un peu partout sur TikTok.

Marc Jacobs FW23.

D’autres formes aliens qui collent plus à la silhouette d’un E.T. se sont aussi incrustées dans les campagnes de Palace x Gucci ou encore dans celle de Skims, shootée par Harmony Korine où Kim Kardashian chill tranquillement au bord de la piscine avec une bande d’extraterrestres aux corps de femmes moulés dans des maillots fluo. La preuve que les extraterrestres peuvent s’acclimater aux codes humains ? L’influenceur alien Zlu, une créature bleue au visage chromé conçue par un studio de création digital, porte du Loewe, fait des collab’ avec Swarovski et la Coupe du monde du rugby et cumulent près de 130K d’abonnés sur Instagram et 735K sur TikTok seulement un an après l’ouverture de son compte. Une cohabitation qui donne un peu d’espoir et répond au besoin de pouvoir se projeter dans un monde post apocalyptique. « Si la Terre va probablement partir en fumée, nous, on se prépare à muter. C’est une façon de garder espoir, on ne va pas totalement disparaître mais plutôt s’hybrider », analyse Vincent Grégoire.

Skims SS23.
Aliencore : entre dysmorphie et mutation

 

Côté mode, le projet hybridation est bien lancé. Inspirées par le personnage d’Astro Boy, les Big Red Boots du label MSCHF ont envahi le monde (de la mode) depuis quelques mois et reviennent sur le devant de la scène avec une version Crocs, incarnée par Paris Hilton. Moins comics et plus inspiration “petit homme vert”, on saute le pas vers l’aliencore avec les Bubba sneakers d’Acne Studio. Autre accessoire indispensable à la transformation : les lunettes qui donnent des airs de créatures du futur comme le modèle Alien d’Ambush, fabriqué par une imprimante 3D. A l’époque où elle avait collaboré avec la marque de lunettes sud-coréenne Gentle Monster, Yoon Ahn, la créatrice d’Ambush avait dit à propos du modèle rétro futuriste vouloir s’adresser à “tous ceux qui veulent voir le monde selon une optique différente. Quand on les porte, on se sent différent, comme transporté ailleurs.”

MSCHF X Crocs X Paris Hilton.

“Les yeux sont au cœur de cette tendance, confirme Vincent Grégoire. D’abord au sens propre, puisque l’œil de la génération alpha (nos enfants) est entrain de muter, ils ne perçoivent plus les volumes, les couleurs, les perspectives ou les matières de la même façon que nous car leurs yeux mutent sous l’influence des lumières bleues. Le résultat : leur œil est plus attiré par les couleurs fluo, par des effets tridimensionnels dans les motifs ainsi que par une exagération du synthétique comme le polyester parce qu’il est plus lumineux”. Le vert “effet spéciaux” qui tape à l’œil a d’ailleurs été adopté par Bottega Veneta pour rajeunir son image de marque. “Il n’est pas très seyant, il est hyper clivant mais il est mémorable, ce vert techno chlorophylle, un peu mutant”, conclut Vincent Grégoire.

Outre l’aspect neurologique, “les gros yeux sont aussi devenus une sorte d’idéal esthétique”, poursuit Vincent Grégoire. Si on les retrouve dans la K-pop et tout l’univers d’animation japonaise, ils sortent aussi du lot sur TikTok et dans toute la mouvance alien beauty, avec en leader du mouvement “alien punk”, la maquilleuse Isamaya Ffrench qui a lancé récemment son propre label dont l’image de marque repose sur ces beautés “cheloues” parées de piercings et de griffes, incarnée entre autres par Julia Fox. Outre le make-up chromé en 3D, l’alien beauty repose essentiellement sur les effets trompe l’œil, des créations mutantes qui semble défier la génétique humaine comme le fait Mei Pang. Membre du jury de Ru Paul Drag Race au Canada, cette virtuose du pinceau se concentre le plus souvent sur la zone des yeux comme une façon de valoriser notre troisième œil. Bientôt tou.te.s des alien superstars au même titre que Tameer Peak ?