Utile, subtil, versatile…
Cela dit, pas besoin forcément de jouer la carte de l’uniforme ou du (mauvais) déguisement pour faire part de ses opinions. Alors que les maisons de mode emblématiques de l’industrie en sont encore à nous vendre pour quelques centaines d’euros des tee-shirts à message invitant à devenir féministe ou à s’engager pour le climat (suivez mon regard…), la jeune garde de créateur.rice.s semble avoir trouvé des moyens plus honnêtes et plus subtils de communiquer sur leur(s) engagement(s). C’est le cas, par exemple, d’Ester Manas qui, en quelques saisons, a su se trouver une place de choix dans le combat pour le body-positivisme et contre la grossophobie. Certes, la jeune marque branchée franco-belge a révolutionné les règles du casting en ne faisant défiler que des mannequins rondes sur le catwalk à l’image de la danseuse et militante queer, féministe, antiraciste et body-positive Mariana Benenge. Mais c’est surtout dans la confection même de ses vêtements que se cache le vrai engagement, puisque la griffe propose une taille unique pouvant convenir du 34 au 50. Et ce, grâce à un système ingénieux de fronces, de laçage, de boutonnières et de tissus extensibles qui permettent à ces pièces versatiles d’accompagner n’importe quelle personne dans toutes ses variations de poids. Sans oublier le fait que l’aspect mode n’y est en rien négligé, avec en prime des coupes, matières et couleurs ultra-désirables. Allier le beau à l’utile, ainsi que la qualité à la quête de sens, semble donc être les notions indispensables et complémentaires d’une mode véritablement engagée. C’est en tout cas ce que souligne Djurdja Bartlett, maître de conférences en Histoires et Cultures de la mode au London College of Fashion, dans la préface de son livre Fashion and Politics (Yale University Press, 2019). “En tant que pratique quotidienne incarnée, la mode est dotée de la capacité à apporter du plaisir, à inciter et à transmettre de l’affect. Ainsi, à une époque où la politique suscite de la méfiance et divise de plus en plus les gens selon des critères basés sur la classe, la race, le sexe et le genre, la mode pourrait effectivement fournir un moyen de contester de telles dissensions.” Cette dernière pourrait même, suggère-t-elle, créer “un pont entre la politique et l’économie, offrant une plateforme pour les conversations sociales et culturelles les plus urgentes d’aujourd’hui”. Bingo ! La meilleure et récente incarnation de cette punchline sociologique reste probablement le travail effectué par le designer et militant antiraciste Kerby Jean-Raymond, fondateur de la marque Pyer Moss. En juillet 2021, il a été le premier créateur afro-américain à présenter une collection dans le calendrier officiel de la semaine de la Couture parisienne. L’occasion pour ce défendeur et célébrateur de la communauté noire de confirmer une fois de plus son engagement à travers une collection de robes fantasques et spectaculaires rendant hommage aux créations méconnues d’inventeur.rice.s noir.e.s oublié.e.s par l’Histoire (climatisation, téléphone portable, abat-jour, machine à écrire…). Mention spéciale à la mise en abîme de la tenue “frigo” sur laquelle on pouvait lire un message écrit en lettres magnétiques : “But who invented Black trauma ?” (Mais qui a inventé le trauma noir ?). Vous avez quatre heures.