Si vous voyez des pénis un peu partout en ce moment, rassurez-vous, vous n’avez pas l’esprit mal placé : l’attribut masculin est omniprésent. Que ce soit dans la mode, l’art ou la pop culture, il ne se cache plus derrière des métaphores phalliques et sous-entendus à peine voilés pour vivre au grand jour. Quitte à parfois frôler le burn(e) out ? Réponse en quatre points.

1. Let’s have a kiki

 

Faites passer le mot, il y a de la cock en stock. Que ce soit sur les podiums des dernières fashion weeks, dans les séries du moment ou sur les murs de différents lieux culturels, le pénis est littéralement à la mode et on ne compte plus actuellement ses occurrences discrètes ou carrément sexplicites. La preuve c’est qu’on l’a vu dessiné façon Pop art sur un short jaune poussin au printemps-été 2022 chez Walter Van Beirendonck, en trompe-l’œil à l’automne-hiver 2022 chez Y/Project en hommage à Jean Paul Gaultier, ou encore bien moulé dans des slips portés sur des corps musclés et huilés (quelque part entre la gym queen de la Menergy et Tom of Finland) lors du défilé FW22-23 de Louis Gabriel Nouchi. Des queues en veux-tu en voilà ! Certaines d’entre elles sont même immortalisées ces jours-ci en photo et en peinture à l’espace culturel 3537 dans le Marais à Paris dans le cadre de « l’Exposition collective libre n°2 » (à voir jusqu’à la fin de cette semaine, vite !). Un évènement où on peut notamment admirer les oeuvres du peintre français Adrien Pelletier et du photographe espagnol Kito Muñoz (tous deux curatés pour l’occasion par nul autre que le génial attaché de presse du 3537 Latif Samassi). Soit deux artistes pour qui exposer des teubs est devenue aussi commun que de porter son masque sous le nez en pleine pandémie afin de montrer son appendice nasal à qui veut bien le voir. Tout ça sans mentionner bien évidemment le retour du magazine homo-érotique Butt qui ressort après 10 ans d’absence grâce au soutien de la maison Bottega Venetta. Un come-back “cul-culte” dixit le journal Libé qui constate que, contrairement à ce que laisse supposer le titre du magazine, “le tout nouveau numéro (le trentième, daté du printemps 2022) expose plus de bites que de paires de fesses”. Consécration (ou pas) : le pénis s’incruste même dans le langage politique – mais pas sûr que l’expression “serrer le kiki” (prononcé récemment par Marine Le Pen pour parler de la guerre en Ukraine) soit repris par la Gen Z. On dit ça on dit rien.

Y/Project FW22, Louis Gabriel Nouchi SS22, Louis Gabriel Nouchi FW22, Walter von Birendonck SS22
2. Le code pine a changé

 

Omniprésente et omnipotente, la bite crève littéralement le petit et le grand écrans. Du Wall Street Journal au Vogue US, en passant par le moins subtil New York Post qui titrait “Le pouvoir de la queue : l’année où le pénis a été lâché à Hollywood”, tous parlent d’une “on-screen peen era”. Les acteurs “bankable” n’hésitent plus à faire tomber le bas dans de grosses productions cinématographiques : alors qu’il y a 42 ans, Richard Gere choquait et mettait en émoi les spectateur-trices dans American Gigolo, apparaissant à l’époque comme le seul poids lourd de sa catégorie à jouer dans le game du full frontal, aujourd’hui Bradley Cooper dans Nightmare Alley ou encore Benedict Cumberbatch dans The Power of the Dog n’hésitent pas à lui emboiter le pas. Mais c’est dans les séries qu’on en recense le plus actuellement : Euphoria –qui détient le record du nombre de pénis déroulés sur pellicule (rien que dans l’épisode 2 de la saison 2 on en compte 30), Normal People, Sex Life, The White Lotus, sans oublier And Just Like That -où une scène furtive nous laisse perplexe quant à la catégorie du mari de Charlotte (grower ou shower ?) et Pam&Tommy, où la verge fictionnelle du batteur de Mötley Crue est dotée de parole. Si les scènes de sexe et de nudité sont aujourd’hui (re)cadrées par le regard bienveillant d’un-e coordinateur-trice d’intimité (en l’occurrence Amanda Blumenthal pour Euphoria et The White Lotus), peut-on parler de parité à l’ère post-#MeToo, après que des actrices du petit comme du grand écran ont manifesté leur agacement de se voir toujours proposer des scènes de cul en full frontal ? Pour Nora Bouazzouni, rédactrice en chef et animatrice de Story Séries sur OCS, ce grand déballage cathodique a certes le mérite de briser un tabou, pour autant “on assiste encore à l’application du double standard : alors que le corps des femmes est toujours sexualisé à l’écran, le pénis, lui, l’est quasiment pas : dans The White Lotus il est un sujet médical, dans Euphoria il n’est pas sublimé (cf. la scène où tout le monde se retrouve à poil sous la menace du dealer), et dans Pam&Tommy elle prête à sourire ou à lever un sourcil. Dans les exemples cités, on note aussi le recours à la prothèse, que ce soit à la demande des showrunners ou des acteurs eux-mêmes”.

Peinture d’Adrien Pelletier
3. Big Dick Energy

 

Subversif, le pénis l’est donc en sortant de plus en plus à découvert dans les séries (parce que prime time tv, parce que s’invitant dans les foyers et donc regardées en famille, contrairement aux films qui se font mater en douce dans les salles obscures, t’as capté ?). Pour autant, à la question : y’a-t-il vraiment du nouveau sous le capot ? Nope. L’espace public s’est depuis longtemps acclimaté à la présence de pénis, entre les pissotières improvisées dans les rues, les dessins de bites dans les toilettes et bancs d’écoles et ceux tagués sur les murs et le bitume de nos villes. On le retrouve glorifié depuis des lustres en déco – le vase Shiva d’Ettore Sottsass créé dans les années 70, la sculpture Rocking Machine en forme de pénis d’Herman Makkink vu dans Orange Mécanique en 1971, et plus récemment la décoration murale Memorabilia Mvsevm de Seletti ou encore la moquette des couloirs de l’hôtel Amour à Paris. Des boulangeries-pâtisseries qui ont pignon sur rue n’hésitent pas à mettre la main à la pâte et à sortir de leur four des pénis comestibles et richement fourrés (Legay Choc, la Quequetterie…). Ajoutons à cette liste la pratique de l’envoi de dick pics (consenti ou pas) et dont la dérive condamnable, le revenge porn, a tristement engendré l’un des derniers souvenirs communs pré-Covid en France (on parle bien de l’affaire Griveau)… Finalement quand on y repense, le pénis a toujours été à la mode. On pense à Rick Owens qui fait défiler des pénis la truffe au vent en 2015. Ce nu frontal en front row a insufflé #freethepeen sur les réseaux sociaux, comme une prolongation du mouvement de demystification #freethenipple. On a également aperçu le pénis sous forme de broche chez Vivienne Westwood à l’automne-hiver 2017, de bijoux brodés à la main dans des coffrets “célébrant la liberté d’aimer qui on veut” chez Macon&Lesquoy en 2018, de porte-clés chez JW Anderson en 2020. Et que dire de tous ces “bulges”, ces paquets moulés affichés en grand dans des campagnes pubs qui marque depuis toujours notre paysage mental, de Mark Wahlberg pour Calvin Klein dans les années 90 à David Beckham pour Emporio Armani en 2008 ? En remontant le fil à coudre de l’histoire de la mode, on se rend compte que l’entre-jambe masculine a toujours eu droit à un traitement cousu main. Et comment ne pas mentionner les oeuvres photographiques de Robert Mapplethorpe, particulièrement celle baptisée Man in Polyester Suit qui montre un penis sortir d’un costume trois pièces et qui a été vendue pour la modique somme de 500000 dollars lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s en 2015 ? Comme le soulignait Denis Bruna, commissaire de l’exposition Tenue Correcte Exigée en 2017 au Musée des Arts Décoratifs de Paris, dans une interview au Monde : “Dans l’histoire du vêtement, le pénis avait déjà été mis en valeur. Par les pantalons serrés du XIVe siècle, les bragues du XVIe, sortes d’étuis péniens décorés de rubans ou de tissus, les culottes ¬moulantes du XIXe…”. N’oublions pas non plus la tendance de la Merkin, apparue en 1450. Aussi appelée “pubic wig” (perruque pubienne), elle était utilisée à l’origine par les prostituées pour éviter les maladies, peut-on lire dans l’Oxford Companion to the Body. L’ouvrage ajoute que cette parure féminine est devenue une pièce de la garde-robe drag, tout comme l’objet d’un certain fétichisme sexuel.

Photographies de Kito Muñoz
4. Phallus malus

 

Avec tous ces exemples qui nous passent sous le nez, peut-on parler d’un vrai changement dans la représentation du pénis ? Là encore pas vraiment. Ça transpire toujours autant la masculinité, puisque tout est encore et toujours une question de taille. L’imaginaire invoqué, c’est celui d’une verge aux dimensions côtoyant les cymaises. Les pénis et prothèses que l’on nous montre sont soient de taille plus qu’honorable soit aussi surdimensionnés que les sacs Chiquito de Jacquemus sont minuscules. Pour Nora Bouazzouni, le male gaze n’est jamais loin et les séries pilotées encore majoritairement par des hommes entretiennent une “idéalisation des corps masculins et une tyrannie de l’apparence, et par extension de la performance”. Pas de quoi atténuer le “complexe du vestiaire” ou dysmorphophobie génitale chez les hommes, ni de parler de body positive à ce niveau-là. La règle du “plus c’est gros mieux c’est” (dont le mètre-étalon a été imposé par l’industrie du porno hétéro comme homo) prend des proportions telles que le nouveau fétichisme sexuel serait les grosses veines (ou “vascularity gains” in english). Le mythe de la grosse bûche ne s’éteint pas et se faire traiter de “petite bite”, pour les mecs peu importe leur orientation sexuelle, ça reste l’insulte et la tare ultimes. Breaking news : un vagin a une profondeur de 8 cm et pour atteindre la prostate, il faut digger de 7 à 10 cm en profondeur. Déjà entendu parler de la “règle du micro-pénis” ? C’est une tactique franchement pas cool en littérature qui consiste à dépeindre son pire ennemi IRL sous les traits d’un personnage fictif détestable, médiocre et doté d’un petit phallus. Et donc ? Ça permet d’éviter le procès en diffamation, car qui irait crier sur les toits que le personnage dépeint est une copie de soi ? Il est loin le temps où le pouvoir d’un homme se mesurait non pas aux centimètres entre ses jambes mais à sa carrure. Dans la symbolique statutaire grecque, un petit sexe appartenait à un homme rationnel, intelligent et capable de maîtriser ses pulsions tandis que les gros sexes, qui plus est en érection, étaient la preuve flagrante d’absence de civilisation et d’animalité. Si le monde de l’art a longtemps cherché un équivalent masculin à L’Origine du Monde de Gustave Courbet (1866), celui-ci a fait son apparition en 1989, réalisé par l’artiste française Orlan : baptisée L’Origine de la guerre, c’est une photographie montrant en gros plan un pénis en érection. On ne pouvait pas trouver plus à-propos.

En haut, série Euphoria. En bas, série And Just Like That.