Dominique White, A refusal to be contained, a refusal to die
2021. Null sails, kaolin clay, cowrie shells, cast iron, raffia,
destroyed rope and sisal. Photo: Barnabás Neogrády-Kiss
Courtesy VEDA Firenze, Goethe Institut Munich and the artist.

Le 28 mars dernier a eu lieu à la Whitechapel Gallery de Londres la cérémonie de la 9e édition du ​​Max Mara Art Prize for Women qui a récompensé cette année la plasticienne britannique et afro-caribéenne Dominique White, dont l’œuvre interroge le lien entre l’identité Noire et les océans.

Dominique White : retenez bien ce nom car il va sûrement marquer le monde de l’art dans les années à venir. Notamment parce que cette dernière vient de remporter ce mardi 28 mars la 9e édition du Max Mara Art Prize for Women : un projet créé en 2005 par la marque de luxe italienne en collaboration avec la Whitechapel Gallery de Londres et la Collezione Maramotti (la collection privée d’art contemporain du fondateur de la marque de mode, Achille Maramotti). Depuis presque 20 ans, ce prix biennal, unique en son genre au Royaume-Uni, est ouvert aux artistes femmes britanniques afin de pouvoir les soutenir dans leur création artistique à une étape cruciale de leur carrière.

Parmi une shortlist de cinq artistes candidates composée de Rebecca Bellantoni , Bhajan Hunjan, Onyeka Igwe, Zinzi Minott et Dominique White, c’est donc cette dernière qui a été choisie comme lauréate par un panel d’experts du monde de l’art. Plasticienne et sculptrice née en 1993, Dominique a étudié à l’école Goldsmiths et à la Central Saint Martins de Londres avant de remporter en 2022 le prix Foundwork ainsi qu’une récompense de la Henry Moore Foundation. Grâce à ce nouveau prix décerné à l’initiative de Max Mara, elle bénéficiera d’une résidence de six mois en Italie pour “informer et développer sa proposition gagnante”, avant de pouvoir terminer par une grande exposition personnelle qui se tiendra en 2024 à la Whitechapel Gallery ainsi qu’en Italie.

Portrait of Dominique White, lauréate du Max Mara Art Prize for Women, 2022-2024. © Photo: Bernice Mulenga. Courtesy, the artist, Whitechapel Gallery.

Si Dominique White a tapé dans l’œil du jury de cette neuvième édition du Max Mara Art Prize for women, c’est certainement parce que son travail, empli de sensibilité et de poésie, a aussi eu une résonance particulière et une pertinence politique avec notre époque. En effet, ses œuvres sont marquées par le thème de l’océan et centrées sur l’idée de la nécessité de créer de nouveaux mondes pour l’identité Noire (“Blackness” en anglais). Une approche personnelle — sa famille a immigré des Caraïbes aux Royaume-Uni — qui se retrouve forcément liée à l’histoire ancienne et tragique de l’esclavage ou au sort actuel désastreux des migrant·e·s qui traversent la mer Méditerranée au péril de leur vie.

C’est ainsi que dans le travail de Dominique on retrouve de multiples références aux théories de la subjectivité noire, de l’aqua-afro-futurisme mais aussi de l’hydrarchie : un terme inventé par le poète du XVIIe siècle Richard Braithwait et qui désigne la capacité des individus à prendre le pouvoir sur terre en gouvernant par l’instrument de l’eau. Une vision et une réflexion qui prennent forme grâce à des installations et des sculptures composées de matériaux nautiques abandonnés tels que des vieilles voiles, des mâts, des lances baleinières, des filets, des cartes, des drapeaux, des cordes, des chaînes, de l’acajou brûlé, de l’argile de kaolin ou encore du fer non traité.

Dominique White, A haunting, A wake of sorts, 2019. Photo Wilf Speller, Wysing Arts Centre. Courtesy of the Artist.
Dominique White, Blackness in Democracys, Graveyard, 2021. Photo by Vegard Kleven. Courtesy of the artist.

La directrice de la Whitechapel Gallery, Gilane Tawadros, qui a co-présidé le jury, est revenu pour Mixte sur le processus remarquable de l’artiste : “Le travail de Dominique est tellement convaincant et distinctif parce qu’elle y apporte une telle approche théorique et philosophique. A côté de cet aspect, elle a aussi cette extraordinaire capacité à explorer la matérialité de différents objets, qui est très unique et spéciale, et qui résonne magnifiquement avec notre histoire et nos enjeux mondiaux actuels”.

En effet, pour cette 9e édition du Max Mara Art Prize for women, Dominique White est allée un peu plus loin dans l’approfondissement de sa recherche de l’identité Noire liée au thème de l’océan en proposant une oeuvre spéciale baptisée Deadweight : “Deadweight vient du terme nautique ‘deadweight tonnage’ (‘tonnage en poids lourd’ en français). Cela signifie le poids — cargaison, provisions, équipage — qu’un navire peut transporter et supporter avant de couler. Il vient en fait d’un terme post-esclavagiste qui dérive de l’affaire du massacre du Zong, un navire négrier britannique connu pour avoir jeté par-dessus bord 142 captifs africains en 1781. C’est clairement un mot très violent, mais le poids de son histoire et sa pertinence constante dans le présent a été le point de départ parfait pour ce nouveau projet”.

Ruttier for the Absent (2019) as pictured as part of the Curva Blu Residency in Favignana (IT) in July 2019. Courtesy, the artist, Whitechapel Gallery.
Ruttier for the Absent (2019) as pictured as part of the Curva Blu Residency in Favignana (IT) in July 2019. Courtesy, the artist, Whitechapel Gallery.

C’est d’ailleurs pendant sa résidence en Italie que Dominique White pourra aller un peu plus loin dans sa recherche artistique puisque, dans le cadre de ses travaux, elle a l’intention de construire puis de couler sa propre structure en forme de bateau dans la mer Tyrrhénienne au large de la côte ouest de l’Italie, avant de la ramener à la Whitechapel Gallery. Une façon pour elle de continuer à explorer l’histoire de l’identité Noire à travers les mers et les océans.

Dominique White, Redemption, 2022. Burnt mahogany, cast iron, forged iron, damaged rope. Photo Aurélien Mole. Courtesy Triangle – Astérides, VEDA Firenze and the artist.