“La vraie grandeur c’est d’être supérieur à celui qu’tu fus jadis”. Si le dernier livre de développement personnel dans lequel vous avez investi vous sert en réalité de cale porte, on vous conseille d’écouter Lord Esperanza. Celui qui s’imagine la face du monde si Mozart avait été noir dans un featuring avec Médine intitulé “Black Amadeus”, livrait en avril dernier, “Phoenix”, un album plus abouti et lyrique que jamais dont il s’apprête à partager très prochainement une captation live prévue au Trianon à Paris. Théodore Desprez, aka Lord Esperanza, a commencé à écrire des vers à l’âge où la plupart du commun des mortels apprend encore à faire ses lacets. Passionné de littérature et biberonné à Sexion d’assaut, ses premiers sons à l’influence plutôt trap, mettaient à l’amende les politiciens et confrontaient l’humain à ses contradictions. “L’être humain s’auto-détruit et trouve le temps de s’en vanter”, écrivait-il à 21 ans dans son morceau “L’insolence des élus”, qui cumule désormais 2 millions de vues sur Youtube. Quelques collaborations en tant que parolier avec des artistes comme Yseult, une marque de mode, et quatre EP perso plus tard, Lord Esperanza continue de promener son spleen et son regard désabusé sur le monde avec justesse et élégance. Rencontre avec un artiste entier et déterminé à contribuer à faire tourner le monde dans le bon sens.
MIXTE. Tu as sorti ton 2ème album “Phoenix” l’année dernière. À 27 ans aujourd’hui, quel regard portes-tu sur ta jeune carrière ?
Lord Esperanza. Je pense qu’il est essentiel d’être bienveillant envers les autres mais aussi avant tout envers soi-même. S’il m’arrive de rougir de mes débuts, j’essaye de porter un regard bienveillant sur ma carrière et l’évolution de ma musique. J’ai commencé avec des sons très rap, voire même trap, pour aller vers quelque chose de plus hybride entre le rap, la chanson et la pop. Bien sûr, j’aurais aimé débarquer dans la musique avec un album abouti et mature comme “Phoenix”, mais c’est aussi la somme de mes projets précédents.
M. Selon toi, qu’est-ce qui t’a fait prendre cette trajectoire vers la pop ?
L.E. Quand j’ai commencé le rap, j’ai toujours eu la conviction que je n’en ferai pas éternellement. Je voyais cela comme une porte d’entrée et j’ai été attiré par ce style car j’aime avant tout les mots, les allitérations, les rimes… Mais pour moi le rap appartient malgré tout à une culture plutôt “jeune” et je sens que j’ai de plus en plus envie d’évoluer vers d’autres choses. Grâce à “Phoenix”, j’ai été contacté pour d’autres projets, on m’a par exemple proposé de créer de la musique pour des films. Ce sont de nouveaux projets qui m’excitent, qui me permettent de me renouveler et je sens que j’en ai besoin.
M. Tu as commencé à écrire de la poésie à 11 ans. Qu’est-ce qui t’a poussé à faire de la musique plutôt qu’autre chose ?
L.E. Je pense que faire de la musique répondait à plusieurs besoins chez moi, notamment celui d’être reconnu. Il y a forcément quelque chose d’un peu névrotique dans le fait de vouloir monter sur une scène pour être applaudi par un public. Ce qui ne veut pas dire pour autant que c’est forcément malsain. Ma génération a aussi été bercée par des rappeurs comme Sexion d’Assaut ou Nekfeu, qui ont refait la part belle aux mots et aux textes. Si je résume, je pense que faire de la musique a été à la fois le fruit d’une passion et des inspirations de ma génération et de quelque chose de plus fort qui brûlait en moi, qui répondait à ce besoin de reconnaissance que j’avais.
M. Penses-tu que les artistes ont le pouvoir de donner accès à l’évasion ?
L.E. La chanteuse Zaho de Sagazan a dit lors des dernières Victoires de la Musique que “être sensible c’est être vivant, et que les artistes sont tous des êtres sensibles”. Je trouve ça très beau et surtout très juste. Je vois l’artiste comme celui qui traduit des émotions, de la joie au rire, en passant par la mélancolie. Romain Gary écrivait “Je me suis toujours été un autre”. Le cinéma, la littérature, la musique sont des mediums qui permettent d’atteindre d’autres univers et de caresser d’autres existences. En cela, je pense que oui, l’artiste a le pouvoir de procurer de l’évasion. J’ai du mal à imaginer un monde sans art, je pense qu’on deviendrait tous fous.
M. Tu n’hésites pas à cultiver ta vulnérabilité dans tes textes. Tu parles de santé mentale, d’hypersensibilité, notamment dans “Les Hommes pleurent”, de solitude et même de la mort. Qu’est-ce qui t’a poussé à t’exprimer sur ces sujets-là ?
L.E. Dans le rap, il est beaucoup question d’egotrip. Il s’agit de montrer que c’est toi le meilleur. À mes débuts, je pense que j’ai eu tendance à tomber un peu dans ces codes là, et puis je me suis rendu compte que c’était assez puéril et un peu faible en termes de partage social émotionnel ! Il y a eu aussi les expériences de la vie, les deuils, les ruptures, les désillusions et l’envie de parler de tout ça de manière sincère. Je pense aussi qu’il y a un vrai bienfait psychanalytique sur le fait de parler à haute voix de nos angoisses. Évidemment, ça ne s’arrête pas là et ça demande une vraie rigueur d’affronter ce qu’il y a de moche en nous, mais l’écrire et le dire c’est déjà une première étape fondamentale. La solitude, les angoisses, la mort, ce sont des sujets qui nous concernent tous et je pense que c’est sain d’en parler plutôt que de se le cacher.