Le 2 juin a eu lieu à la Fondation Louis Vuitton la remise du prix LVMH qui récompense chaque année le travail d’un jeune créateur. Alors que le prix Karl Lagerfeld a été remis ex æquo à deux prodiges états-uniens (Eli Russel Linnetz pour son label ERL et Idris Balogun pour sa marque Winnie New York), le jury a décerné le grand prix à un designer anglais, Steven Stokey Daley. Qui est ce british discret dont les chemises squattent les épaules d’Harry Styles depuis la création de son label en 2020  ?

Pour son édition 2021, le prix LVMH avait mis en lumière une créatrice albanaise, Nensi Dojaka, dont les pièces cut out ultra sexy ont été imitées en masse depuis et sont en passe de devenir l’uniforme de notre Summer 2022. Cette année, le jury du prix LVMH a choisi de distinguer un trio de trois designers, qui interprètent à leur manière la masculinité et la notion de genre. Les pièces en cuir dans les tons de terracotta du label Winnie New York ont remporté ex aequo le prix Karl Lagerfeld avec l’univers YK2 du créateur californien Eli Russell Linnetz, qui a co-crée la dernière collection Dior hommes SS23 avec Kim Jones. Le grand prix LVMH, qui comporte une copieuse enveloppe de 300 000 euros et un an de mentorat, à, quant à lui, été décerné à Steven Stokey Daley, pour son label S.S Daley entre esthétique champêtre et gender fluidity. Mixte s’est penché sur le CV du british qui réinterprète l’histoire de l’art, de la littérature et du costume de son pays à l’aune des clivages socio-culturels qui le divisent aujourd’hui, tout en y apportant une touche d’humour queer.

 

Il est passé par les studios homme de Tom Ford et d’Alexander McQueen

 

Diplômé d’un Bachelor en mode de l’université de Westminster en 2020, Steven Stokey Daley a fait ses armes au sein de maisons majeures de la mode homme avant de lancer son propres labels. « Ses expériences m’ont appris des choses extrêmement différentes. Tom Ford, c’est le théâtre : c’est le glamour à l’état pur, voire explosif, avec un rythme soutenu, mais un travail très gratifiant. McQueen c’était autre chose, comme une machine bien huilée. Je dirais que je suis devenu un créateur bien rôdé chez Tom Ford, puis que j’ai appris chez McQueen à me concentrer sur une compétence à la fois, avant de perfectionner chacune d’entre elles. » « J’ai tellement appris en travaillant pour ces grandes maisons, des expériences géniales qui m’ont aidé à développer un savoir-faire essentiel. J’ai appris tellement de choses qui m’ont permis de faire ce que je fais aujourd’hui. J’ai travaillé pour des magazines, et j’ai dit à tout le monde de faire la même chose, pour comprendre les dessous de l’industrie. Travailler pour des gens, respecter la hiérarchie, que ce soit dans des grandes maisons ou des petites entreprises, ça m’a donné des exemples (ou des contre exemples) de comment bien travailler avec les autres. »

Il a lancé sa marque en pleine pandémie

 

Mars 2020, premier confinement suite à la pandémie de Covid 19, alors que la plupart d’entre nous tentions vaillamment de faire nos propres miches de pain ou bien essayions un énième cours de yoga différent, Steven, lui, occupait son temps en montant sa propre marque de vêtement. Comme si la précarité de la période et le bordel ambiant n’avait pas le même effet sur tout le monde. « Monter ma marque, ça s’est passé assez naturellement et organiquement. Quand Louis Rubi a posté une photo avec mon pantalon floral de la collection AH20, j’ai eu tellement de demandes. On était au pic du confinement et tout semblait morose, mais j’ai décidé petit à petit de faire toutes les commandes avec l’aide de mon petit copain Leo qui était confiné avec moi. Et puis ça a fait son chemin à partir de là. Sarah Mower a été une source de soutien constante pendant le confinement aussi. C’est elle qui m’a permis de considérer cette marque comme une possibilité réelle, elle fait tellement pour soutenir les étudiants en coulisse. »

Il est issu de la classe ouvrière de Liverpool

 

Steven a grandi dans le comté du Merseyside, près de Liverpool, dans un milieu ouvrier. A priori, rien ne destinait le British au milieu de la mode, et encore moins à se retrouver dans le sillage de la maison LVMH. « Ce qui est intéressant, c’est que pendant toute la première partie de ma vie, je ne me suis jamais vraiment intéressé à la mode. Dans mon environnement, ça n’existait pas. Pour autant, ma grand-mère travaillait dans une usine de confection de vêtements quand elle était jeune : elle a toujours été la créative de la famille. Je pense que cette connexion ressort dans mon travail aujourd’hui, et c’est sans doute la raison pour laquelle j’en ai fait mon métier. » Plutôt que de renier ses racines, Steven puise ses inspirations au coeur même des codes de son milieu d’origine. Et c’est cet aspect de son travail qui l’a d’ailleurs distingué aux yeux du jury pour qui il « réinterprète l’élitisme et les institutions de la haute bourgeoisie britannique et questionne la nature structurelle de cet héritage britannique à travers un prisme ‘homosocial' ».

Il réinterpréte la culture britannique avec une touche de queerness

 

C’est lors de son expérience au sein de la maison Tom Ford que Steven Stokey Daley dit avoir appris à questionner et à déconstruire la notion de « menswear ». Le vestiaire S.S Daley reprend des basiques du vestiaire tradi britannique comme le pull irlandais, la maille à motif jacquard, le Prince de Galles ou encore le costume à rayures twistés avec une note de queerness. Mini-shorts à motif Paisley, pantalons à pince ultra-large ornés de fleurs bleutées, pulls ajourées et combi moulantes, … S.S Daley propose selon ses propres mots, « une nouvelle garde-robe britannique ». « Il y a en effet quelque chose de très “queer-centré” dans la conception de chacune de mes collections. Cette manière de détourner la norme à travers le prisme du queer peut passer par la silhouette, la fabrication, ou même jusqu’au plus petit détail. Cela émerge avant tout dans la façon que nous avons de nous écarter des conventions, qui est complètement au cœur de notre label. » explique-t-il.

C’est le créateur favori d’Harry Styles

 

C’est le coeur d’un monument de la culture britannique, Harry Styles, que S.S Daley a conquis avant de faire flancher celui du jury du prix LVMH. Parmi les premiers quand il s’agit de brouiller les pistes en matière de genre, Harry a largement a contribué à faire connaître le label S.S Daley. D’abord en 2020, quand il apparu sur le visuel de son single « Golden », en 2020, presque nu exception faite pour un chapeau de pluie et un pantalon Sebastian signé Steven, puis dans le clip de la même chanson, en portant tout le long de la vidéo une chemise « Hall » à la coupe large, également issue de la collection de fin d’études de Steven intitulée « The Inalienabale Right ». Quelques heures après la mise en ligne du clip, le monte entier connaissait le nom de Steven. Depuis, Harry Style continue d’apporter de la visibilité au jeune label, plus récemment, il est apparu avec un cardigan marron orné de deux canards jaune tricotés, motif signature de S.S.Daley.