M. Quel est ton rapport à la virilité et à la féminité ?
ÂA. Pour moi, penser qu’un homme est forcément viril, dur, insensible, est tout simplement absurde. J’ai grandi entouré de femmes, mais aussi de personnalités masculines très fortes. Je remarque facilement la sensibilité chez les hommes, et ça me fait de la peine quand j’en vois s’interdire de s’exprimer. Parce qu’au final, quand tu rentres chez toi, tu es seul. J’ai mis du temps à me rendre compte que je devais assumer ça.
M. C’est important pour toi, la solitude ?
ÂA. C’est à double tranchant. J’en ai besoin, parce que je me fais vite chier en société et je sens assez rapidement que je dois absolument me retrouver ! Mais ça peut être compliqué parfois dans le regard des autres. La solitude me suit depuis ma naissance, dans les yeux de ma mère, dans son histoire, dans ses combats de femme. C’est mélancolique, ça peut paraître triste, mais je fais avec. C’est la vie.
M. Tu es fataliste ?
ÂA. Je ne sais pas. Parfois je me lève, je suis amoureux de tout ; et puis quand je me couche, je me dis que c’est fucked up. Autrefois, je voulais changer le monde, ma génération. Plus j’avance, plus je me rends compte que certains ne veulent ou ne peuvent pas changer. J’essaie de ne plus me concentrer sur eux, ils se rendront peut-être compte qu’ils se trompent. Je crois toujours en la beauté et l’être humain, mais je ne me bats plus pour ceux qui ne veulent pas faire d’efforts.
M. Ton goût pour le surréalisme et pour l’afro-futurisme, c’est aussi l’espoir d’un ailleurs, d’un autrement ?
ÂA. Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est par rapport au milieu dans lequel j’ai grandi, quoique très intelligent, mais j’ai l’impression qu’en tant qu’artiste issu d’une culture urbaine, même si je n’aime pas ce mot, on nous empêche d’aller au-delà de tout ça, comme on peut empêcher des artistes pop de se diriger vers quelque chose de plus profond. J’ai la possibilité de parler aussi de ça, qu’on ne dise pas c’est un peu trop perché, trop chelou. J’aime la liberté totale, la personnalité plurielle, me dire que je serai là où l’on ne m’attend pas. Beaucoup d’artistes se disent : “On va faire comme les autres, histoire d’être entendus”, alors que non justement ! Si les gens viennent vers toi, c’est pour ce que tu es et que tu vas apporter. Mais il faut y aller petit à petit. Même si j’aimerais être un peu plus radical, je sais que c’est réservé aux artistes plus installés.
M. Jusqu’où vont tes ambitions ?
ÂA. Je ne m’empêche pas de rêver. J’ai l’intention d’explorer le monde, de partir de Liège. Pendant longtemps je me disais que je devais rester ici parce que tous les gens que j’aime s’y trouvent et que j’adore ma ville. Quand une amie me disait que c’était de la peur, je ne voulais pas la croire. Et puis, j’ai revu The Truman Show, ce fameux passage quand Jim Carey fait une crise d’angoisse au moment de prendre le bateau pour quitter sa ville. Je n’en suis pas là, mais je prends mon temps. Dès que j’ai commencé à écrire et dessiner, c’était de toute façon pour changer le monde, le mien, la manière de penser des gens que j’aime, la vision des autres. J’ai envie d’être un grand artiste, de chanter mes chansons partout, de monter sur des grandes scènes et de proposer une vraie expérience aux gens, qui mélange tout – le conteur africain, la drag-queen, le rappeur –, balancer ça à la face du monde et lui dire qu’en fait c’est possible. Qu’il n’y a pas que les femmes ou les Américains qui peuvent se permettre l’excentricité !