La présentation Moncler Genius lors de la fashion week londonienne FW23/24.

Comme chaque saison, la fashion week britannique, bien moins académique et institutionnelle que ses concurrentes (pour ne pas dire boring), est connue pour nous apporter un vent de fraîcheur et de nouveauté dans le paysage mode. Et pour l’automne-hiver 2023/24, elle a décidé de faire référence à ses classiques (Punk, Saville Row…) tout en allant tâter le terrain de l’avant-garde, de l’humour et de la provoc’. So british, quoi. Le récap en 7 points.

S’il y a une chose que l’on n’enlèvera pas aux Anglais, c’est bien leur sens de l’humour, noir, juste, inimitable. Pourtant, cette saison semble teintée d’une certaine nostalgie, probablement en raison d’une année assombrie par la disparition de deux reines, la Reine, et la reine de la mode, Vivienne Westwood. Celle qui aura marqué à jamais les rues de Londres avec sa célèbre boutique SEX, aura été la première à défendre des valeurs de tolérance et de rébellion plus actuelles que jamais. Et les références à son travail ne manquaient d’ailleurs pas. Heureux hasard, peut-être. Comme chaque saison, la mode britannique, bien moins académique que ses concurrentes, nous rappelle son grand talent, fait référence à son passé, à Savile Row, au punk et nous émoustille avec ses labels d’avant-garde ultra-créatifs. Élans couture, Brit chic, inclusivité, color blocks, retour sur quelques-uns des temps forts de cette fashion week. Et rappelons à quel point la semaine londonienne, unique en son genre, est nécessaire pour ne jamais oublier que la mode est avant tout un art.

1. Une grosse pincée de British humour
JW Anderson FW23, Yuhan Wang FW23, S.S Daley FW23, Christopher Kane FW23, JW Anderson FW23.

Alors que la mode traditionnelle anglaise de tartan vêtue a longtemps manqué d’humour, habillant une bourgeoisie Queen English toute conservatrice, la jeune garde est, elle, une grande adepte de l’autodérision. Et en ces temps, prendre du recul ne fait d’ailleurs pas de mal. Sans pousser jusqu’à dire que l’ombre du Brexit planait sur une Angleterre isolée, le constat est que la création a tout de même décidé de ne pas se regarder le nombril. Christopher Kane nous propose des robes imprimées d’animaux mal aimés, comme le rat ou le cochon et Yuhan Wang conçoit un ensemble en soie rose brodé de deux adorables chats… qui s’avèrent n’être autres que ses deux chats, Misty et … Misty ! S.S. Daley réinventait la scandaleuse robe lobster signée Schiaparelli en remplaçant le homard de Dali par un print de bodybuilder nu. Référence subtile mais tout aussi sexuelle que la première. Last but not least, J.W Anderson rendait hommage à l’artiste Michael Clark, avec un pénis pop art bleu géant, un tee-shirt subtilement – ou non – estampillé Sham Boy ou même une robe TESCO (le supermarché local) à faire pâlir de jalousie le tee-shirt DHL par Vêtements.

2. Le Brit Chic réinventé de Burberry
Burberry FW23.

“Give Me My Burberry!” s’exclamait le roi Edouard VII, faisant ainsi passer le nom du célèbre tailleur dans le champ lexical du langage courant. Et on oublie souvent que Burberry propose un vestiaire entier, et non pas simplement ses fameux trenchs. Daniel Lee l’a bien compris et pour sa première collection, l’ancien de chez Bottega Veneta modernise les classiques anglais en les débridant avec une nouvelle palette de couleurs. Fidèle aux codes chers à la Maison et à l’amour des beaux tissus anglais, les tartans et tweed sont bien présents mais colorés de bleu roi, de vert bouteille et de jaune. Les tee-shirts et robes se décorent de prints, et les manteaux arborent une fausse fourrure exubérante qui n’était jusque là pas de mise chez Burberry. Côté accessoires, Lee décide de jouer les cartes de l’ humour et de la tradition en réinventant les chapkas et en proposant des sacs bouillottes rappelant que les longs hivers britanniques ne sont pas synonymes de morosité. Alors que Burberry fut longtemps associée à la mouvance Brit Chic, habillant bonne société et famille royale, la version Daniel Lee secoue les codes du genre tout s’assurant de conserver des pièces adaptées à la clientèle originelle.

3. Londres reine de l’inclusivité ?
Sinead O’Dwyer FW23, Di Petsa FW23, S.S Daley FW23, Dilara Findikoglu FW23.

Alors que New York et Paris ont récemment été critiquées pour le retour malheureux de l’extrême maigreur sur les podiums — quand nous pensions enfin en avoir fini avec l’apologie de la maladie — il semble qu’à Londres, la question ne soit plus vraiment d’actualité. Cette semaine auront défilé toutes formes de corps, et des mannequins de genres et d’origines divers. On le sait, l’industrie de la mode s’inscrit toujours dans un contexte socio-culturel. Pouvons-nous alors affirmer avec certitude que cette diversité est liée au modèle d’intégration multiculturel propre à la Grande Bretagne ? Dans tous les cas, les défilés étaient tout sauf blancs et maigres. Shout out ! S.S Daley a mis en avant différents corps masculins dont un homme considéré “plus size” vêtu d’un costume deux pièces pailleté, une version baby rocker de Savile Row. Di Petsa invite sur le podium une femme enceinte, rappelant par là-même que le savoir-faire de patronage n’est jamais aussi bien montré qu’en habillant de vraies formes. Même constat chez Sinéad O’Dwyner qui sublime ses créations de cuir et maille sur des corps réellement divers faisant même défiler une mannequin handy. Si l’écriture même de ces lignes apparaît désuète, elle est pourtant encore nécessaire pour rappeler que la mode a, aujourd’hui plus que jamais, le devoir d’utiliser son rayonnement pour défendre des valeurs d’inclusivité.

4. Couture Punk : la consécration
Matty Bovan FW23, Susan Fang FW23, Roksanda FW23, Harris Reed FW23.

Dire de la jeune création anglaise qu’elle est moins académique que ses concurrentes française et italienne, et moins commerciale que l’américaine relève de l’euphémisme. Impulsée par Central Saint Martins et Fashion East, la jeune création a toujours fait preuve d’une inventivité hors norme, très caractéristique de la culture anglaise. Et si cette exubérance a pu être un frein à la réussite commerciale de nombreux labels, elle est particulièrement intéressante à observer pour tout amateur de chiffons. Pourquoi ? Car elle ne reconnaît aucune frontière entre couture et prêt-à- porter. Ainsi nombre de collections proposent des pièces aux constructions couture mais à l’esthétique punk pourtant bien éloignée des salons privilégiés de la discipline. C’est le cas avec les robes tubes chez Roksanda, des robes ficelles “see-through” brodées et perlées à la main chez Susan Fang ou des manches bouffantes sur les pièces déjantées signées Matty Bovan. Mais l’exemple le plus concret est celui du remarqué Harris Reed, qui signe une collection de 10 looks réalisée avec des deadstocks et présentée à la Tate Modern. Avec des volumes impressionnants, la collection rappelle de manière évidente les créations de Cristóbal Balenciaga. Imaginez un fin mélange entre l’exposition L’Oeuvre au Noir au musée Bourdel et les clichés de Lee Bowery dans les années 80, et vous aurez une idée un peu plus claire de l’impeccable collection couture de celui que l’on découvrira bientôt chez Nina Ricci à Paris.

5. Le coup de maître de Moncler Genius
Moncler Genius.

Comme une fashion week n’est pas une fashion week sans quelques grandioses événements en périphérie des défilés, c’est Moncler qui s’est portée candidate pour faire rêver la fashion sphère avec une performance à l’américaine. Organisée à l’Olympia London, la marque italienne avait convié quelques 10000 personnes à un show immersif et une performance d’Alicia Keys – accessible sur inscription – dont le but était de dévoiler une collection inspirée des années 90 à New York. Moncler Genius, initiative lancée en 2018 consiste à inviter label, designers et créateurs de tout horizon à repenser l’ADN de la marque. Et le show n’était qu’à la hauteur des nouvelles collaborations de la maison dont on note surtout celle avec Pharrell Williams – aka le nouveau directeur artistique de Louis Vuitton – et une doudoune Adidas Original au succès garanti.

Présentation Moncler Genius à l’Olympia London.
6. La provoc’ à l’anglaise
Nensi Dojaka FW23, Mowalola FW23, Mowalola FW23, Dilara Findikoglu FW23, David Koma FW23.

Face au Brit Chic, la provoc’ à l’anglaise fait de la résistance. Cette saison cependant, elle se fait moins No Future mais plus années 2000 avec un penchant pour l’underwear (transparence, mèche, tulle, soutien-gorge) et le kink (latex, cuir). Dans ce contexte, la collection Muwalola ferait presque concurrence au Diesel de Glenn Martens avec ses mini-jupes en jean, sacs oversize, sous-vêtements de cuir et surtout, son look gagnant incontesté : une culotte, des bottes et veste ultra-courte en peau de vache. Quand House of Sunny réinvente jupes longues en jean, ceintures cowboy à franges et vestes de motards, l’underwear devient normalwear chez la gagnante du prix LVMH 2021, Nenni Dojaka ainsi que chez S.S Doley. Enfin, le latex est présent partout, mais surtout chez Dilara Findikoglu et David Koma. Des collections qui nous rappellent le fameux adage de Baudelaire : « Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais-goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire ». À méditer.

7. Robe à fleurs but make it punk
Erdem FW23, Richard Quinn FW23, Emilia Wickstead FW23, Matty Bovan FW23.

Thanks God! La mode anglaise a réussi à ne pas tomber dans l’écueil de la française. Celle de considérer la petite robe à fleurs comme l’atour parfait d’une féminité ultra-normée, et disons-le, aussi ennuyeuse que dépassée. Cette saison, comme à leur habitude, les créateurs anglais proposent donc une nouvelle fois la version Westwood de la robe à fleurs : punk, structurée, et faussement premier degré. Richard Quinn en a même fait le thème entier de sa collection, avec une scénographie tout aussi fleurie que les modèles qui défilaient : modèle à épaulettes et chaussures assorties façon Balenciaga, robes bustiers brodées, robe de débutantes imprimée de roses sauvages, broderies fleurs, mannequins les bras chargées de bouquets et … dentelles fleurs ! House of Sunny ouvrait son show avec une robe en jacquard rouge à motifs floraux, et chaque mannequin déambulait d’ailleurs avec une rose à la main. Susan Fang proposait des tee-shirts en crochet, du tulle en forme de fleurs et même la version enfantine de nos robes de « parisiennes ». On retrouvait aussi les fleurs chez Erdem, Rixo et Emilia Wickstead mais faire le détail de chaque pièce impliquerait de répéter une fois encore le mot fleur…