Kamiya SS25

Du 2 au 6 septembre, le calendrier de la Fashion Week de Tokyo, sponsorisée par Rakuten, s’est déroulé entre typhons et soleil de plomb. Les créateurs japonais ont malgré tout su nous offrir une oasis d’idées neuves. Performances, anniversaires, bad boys et voyage dans les années 80 : une saison restreinte en termes de shows, mais généreuse en rebondissements.

1. SHOW TIME

Telma ouvre le bal
Si vous êtes inconsolable depuis que Dries Van Noten a quitté la scène, séchez vos larmes et gardez un œil sur Telma, qui a donné le coup d’envoi du calendrier officiel. La marque est lauréate du « Next Brand Award », un programme lancé par la JFWO (Japan Fashion Week Organization) il y a deux ans, visant à soutenir et promouvoir de nouveaux talents au potentiel international. Son créateur, Terumasa Nakajima, a travaillé avec le designer anversois avant de rejoindre Issey Miyake, pour finalement lancer son propre label de prêt-à-porter féminin en 2022. Au menu de la collection : des imprimés audacieux mêlant art cinétique et fleurs, une large palette de pastels dynamisée par des looks oranges vifs, des coupes structurées mais fluides, et des jeux de superpositions à l’infini. Alléchant.

l’anniversaire de Yoshiokubo
Imaginez un show de plus d’une demi-heure, devant lequel toute la fashion sphère se tord de rire, se lève des sièges pour attraper des snacks lancés depuis la scène, le tout applaudissant avec ferveur. C’est cette ambiance potache que Yoshio Kubo a choisi pour célébrer les 20 ans de son label éponyme. Pour l’occasion, il a fait appel à la célèbre troupe comique Yoshimoto Shinkigeki, fondée en 1959 et profondément ancrée dans la culture populaire japonaise, reconnue pour son humour accessible et ses personnages excentriques aux tics inoubliables. Le spectacle a fusionné défilé de mode et comédie, avec des acteurs défilant aux côtés des mannequins, pour le plus grand plaisir des invités. Kubo voit dans Yoshimoto Shinkigeki une influence clé dans son parcours de créateur, l’ayant poussé à affirmer pleinement son style unique. Quant à la collection, loin de se laisser voler la vedette par la performance, elle a dévoilé 20 looks aux volumes généreux, mariant habilement design utilitaire avec des jeux de plissés et de fronces.

La vague Shinyakozuka
Shinya Kozuka nous a également invités à célébrer les dix ans de sa marque à l’extérieur du stade national de Tokyo, accompagnés par le chant des grillons et les acclamations lointaines mais enflammées d’un concert d’idoles qui se déroulait en parallèle. La collection SS25, baptisée « Picturesque or Die », nous a plongés dans un univers d’artiste fantasque, avec des blouses éclaboussées de peinture ou des motifs animaliers enfantins, mais c’est surtout la dominance de bleu Klein (couleur emblématique de la marque) que l’on retiendra. Cette collection ressemblait à une véritable galerie d’art en mouvement : ici, une couronne à la Basquiat, là, des perruques blanches à la Warhol, et plus loin, le traditionnel béret noir comme dans « Portrait de l’artiste au béret » de Cézanne. Si toutes ces références ne semblaient pas être des inspirations directes, l’ensemble donnait l’impression d’une gigantesque partie de « Qui-est-ce ? », où chaque look devenait un clin d’œil à l’histoire de l’art.

Le saut dans le vide de Balmung
Balmung est une marque qui déconcerte, car difficile à définir, oscillant entre mode, costume, cosplay ou performance artistique. C’est en partie grâce à cela qu’elle marque les esprits et ne laisse jamais indifférent, surtout lorsque son créateur, Ryuichi Shiroshita alias Hachi, propose une mise en scène aussi percutante que celle de son défilé SS25. Installés dans une structure circulaire en échafaudage sur deux niveaux, les mannequins se croisaient, puis se jetaient dans le vide pour atterrir sur des coussins d’air avant de repartir en coulisses, comme si de rien n’était. Connue pour ses coupes sculpturales et ses volumes maximalistes, la marque explore la relation entre la ville et ses habitants, ainsi que les communautés qui la peuplent, qu’elles soient virtuelles ou réelles. Cette collection s’intéressait aux archétypes de sous-cultures de niche, puisant dans l’univers de l’anime, des jeux vidéo, du style gal et du cyberpunk. Envie d’entrer dans le cercle ?

2. CLUB MENSWEAR

Les rebelles en carton de Kamiya
Restons dans l’esprit otaku avec Koji Kamiya qui nous a donné rendez-vous à Akihabara, le quartier mythique pour les fans d’anime et d’électronique. Pourtant, la collection est à l’opposée de l’esprit des lieux et pose un regard critique sur le monde de surveillance technologique actuel, où une simple erreur peut avoir des conséquences désastreuses sur des vies. Pour relâcher la pression, Kamiya conjure toutes les figures du rebelle ou du mauvais garçon, qu’il soit grunge, punk, skateur ou même hippie. On saluera le travail des textiles car la collection est en fait un gigantesque trompe-l’œil : le blouson en cuir noir, typique d’un loubard de bar PMU, ou les broderies hippies sur les pantalons en jean sont en fait des scans haute résolution. À noter aussi  l’illusion d’imperfection des articles en denim qui sont façonnés pour créer des effets de distorsions et de vagues, comme si les vêtements sortaient du placard d’un adolescent peu consciencieux.

Anrealage Homme : Punk Bubblegum
Chez Anrealage Homme, la figure du rebelle est également à l’honneur, avec des coiffures over punk et over drama signées Yusuke Morioka qui captent tout de suite l’attention. Mais ce qui reste surtout en mémoire, c’est l’omniprésence du rose bubblegum : dans les lumières, les invitations et la collection elle-même. Entre fureur et candeur, force et vulnérabilité, la dernière collection de Kunihiko Morinaga propose une vision contrastée et sensible de la masculinité, mêlant bienveillance et nostalgie de l’enfance. « Je voulais revenir à une époque pure, où tout semblait étincelant. Nous étions peut-être immatures, mais notre perception du monde était plus riche que ce que nous prenons pour acquis aujourd’hui », explique Morinaga. Les silhouettes évoquant des écoliers, les tricots enfantins et les broderies de perles en plastique colorées témoignent de cette volonté de capturer l’innocence de l’enfance : Take us back!

Le retour au pays de Sulvam
Plutôt habitué des podiums parisiens, et alors que sa marque vient tout juste d’ouvrir une boutique rue Quincampoix, Teppei Fujita a choisi de revenir à Tokyo pour célébrer les dix ans de son label Sulvam. Cela faisait trois ans qu’il n’avait pas défilé dans son pays natal et, pour l’occasion, le designer a vu les choses en grand. Pas moins de 50 looks ont défilé, revisitant les classiques de sa griffe : coupes asymétriques, coutures apparentes et un éventail de rayures — sportives, emo, marines, tailleurs… À la croisée du corporatecore et du grunge, c’est surtout la polyvalence et la versatilité de Teppei Fujita que l’on retiendra. Affaire à suivre.

3. She society

Retour vers le futur chez Fetico
« Je voulais exprimer le charme d’une femme mystérieuse qui a un secret », explique Emi Funayama, visiblement en réponse à notre tendance actuelle à tout dévoiler sur les réseaux sociaux pour se mettre en avant. Intitulée « The Secrets », sa dernière collection plonge dans les années 80, en s’inspirant de figures telles que Rebecca Webb, Azzedine Alaia et le film « Drowning by Numbers » de Peter Greenaway. Épaulettes, taille haute, pois, et camisoles boutonnées sur le devant : tous les éléments classiques sont présents, mais la créatrice les manie avec brio, évitant ainsi toute parodie. Fidèle à son exploration de la sensualité féminine à chaque collection, Emi Funayama propose ici une sophistication qui reste ancrée dans la réalité. Elle équilibre ses looks avec des matières fluides et confortables, tout en troquant les talons pour des baskets, apportant une touche moderne et décontractée. Le secret de Fetico cette saison ? Probablement son approche réaliste d’une sensualité pragmatique.

Le tempo Pillings
Délicatesse, poésie et sensualité : voici les trois mots-clés pour comprendre la partition en apparence minimaliste de Ryota Murakami. La marque Pillings est renommée pour son savoir-faire de la maille, mais cette saison, bien que toujours omniprésente, elle se fait si fine qu’elle se ferait presque oublier tant elle semble fondre sur le corps. Elle se manifeste par une sensation de confort, de douceur et de fluidité dans les volumes et les tombés. La collection défilait au rythme d’un métronome, dans une succession muette de looks aux teintes beiges créant contre toute attente une atmosphère générale de chaleur et de raffinement. Coup de cœur pour les fourmis microscopiques qui se baladaient sur les chandails, créant une sensation de mouvement, comme si elles grignotaient lentement les fils des décolletés, révélant les poitrines des mannequins. Clin d’œil très Daliesque qui apportait une pointe d’étrangeté à l’ensemble.

Entrez dans la danse de Chika Kisada
Chika Kisada, queen indétrônable du balletcore, nous a invité pour une nouvelle danse intitulée « Intoxication ». La couleur rouge carmin s’est imposée sur les bouches, les vêtements et les chaussures, contrastant radicalement avec les teintes fraîches du reste de la collection et le sous-sol sombre et exigu où défilaient les mannequins. Difficile de ne pas peser aux chaussures rouges du Magicien d’Oz ou ceux du film culte Les Chaussons rouges (1948), réalisé par Michael Powell et Emeric Pressburger. Cette saison, Chika Kisada semblait s’éloigner de l’univers ballerina pour explorer un monde plus sombre et presque fantastique. La déformation des corps y joue un rôle central, avec des volumes inattendus ajoutés là où on ne les attendait pas, et des silhouettes dramatiquement resserrées dans des corsets aux allures menaçantes. La collection exerçait un charme envoûtant, amplifié par la violoncelliste qui performait ce soir-là, donnant au ballet des allures de sabbat.

3. STATE OF NATURE
Kamiya, Heos, Telma, Fetico, Viviano, Chika Kisada

Bloom Brigade
« Les fleurs fleurissent même lorsque le monde est en feu » : c’est le message d’espoir de Matthieu Blazy pour son défilé Bottega Veneta FW24 et représente parfaitement le thème du dernier numéro de Mixte. Cette citation, plantée comme une graine, semble également avoir germé à Tokyo où l’on a vu fleurir toutes sortes de fleurs. En crochet chez Chika Kisada, brodées chez Viviano, drapées chez Fetico ou en collier chez Telma et Heos, les fleurs ont même éclos dans le vestiaire des bad boys de Kamiya.

Wildfraulein, Yueqi Qi, Viviano, Pillings, Fetico, Wilsonkaki

Green flag
Bien que premier degré, l’obsession pour le vert en référence à Mère Nature semble s’imposer un peu partout. À en croire la dernière collection de Collina Stradda (qu’on adore), ce prêt-à-penser a encore de beaux jours devant lui. L’or vert s’est décliné des cool kids d’Yueqi Qi au minimalisme onirique de Pillings. Bien que Viviano soit celui qui ait le plus exploité cette couleur cette saison, elle n’est pas passée inaperçue chez Wildfraulein, Fetico ou WilsonKaki.

Hyke, Hidesign, Wilsonkaki, Kamiya, Seivson

Human VS Wild
Face aux enjeux climatiques croissants, les créateurs sont forcés de réinventer notre rapport à la nature en explorant la technicité des matières et la fonctionnalité des coupes. Les vestiaires outdoor, sportifs ou militaires s’imposent sur les podiums, souvent comme source d’inspiration ou références esthétiques comme chez Kamiya et Seivson, mais de plus en plus pour leurs solutions techniques. Si Hyke ou Wilsonkaki se font remarquer, la championne dans cette catégorie, c’est la marque Hidesign, dont le concept même est d’être au service d’un vêtement fonctionnel, comme peuvent en témoigner les vestes SS25 dotées de ventilation intégrée, conçues à l’origine pour les ouvriers de chantier, mais désormais adaptées aux étés de plus en plus chauds de Tokyo.

La Garden Party de Viviano
Mention spéciale pour Viviano et sa collection intitulée My Garden. Il explique : « J’ai réalisé que la mode et le jardinage sont la même chose… Il s’agit d’apporter de l’amour aux plantes et aux fleurs pour qu’elles grandissent et fleurissent. » La collection débutait sobrement avec des silhouettes noires, une surprise compte tenu de l’ADN de la marque. Mais peu à peu, les couleurs et les volumes ont littéralement explosé, transformant la collection en un véritable bouquet de fleurs. L’ambiance romantique de la collection séduit par sa générosité en looks, volumes, détails et couleurs, offrant littéralement un bouquet final.