Jusqu’ici, l’ombre lui allait bien. Elle si timide, antistar, était bien aise de disparaître dans une esthétique minimaliste, à l’image de ce “X” qui barre les pochettes de son groupe. Et voilà qu’à 34 ans, Romy Madley Croft, tiers féminin de The xx, publie à son tour un album solo, emboîtant ainsi le pas à ses frères d’armes, Jamie xx et Oliver Sim. Sa voix, à la fois joueuse et vulnérable, fait des miracles sur onze morceaux fiévreux taillés pour les dancefloors. Comme si, après des années en noir et blanc, la Londonienne découvrait la couleur. Baptisé Mid Air, l’album est une déclaration d’indépendance produite par Fred Again (producteur de Charli XCX, Brian Eno ou des BTS) et Stuart Price (celui de Kylie Minogue ou de Madonna) mais aussi une histoire de visibilité queer. En passant, la musicienne – éperdument amoureuse de celle qui est désormais sa femme, la photographe Vic Lentaigne – a eu l’audace de signer plusieurs hymnes lesbiens. Ça tombe bien, la pop en manque cruellement.
Mixte. Une des marques de fabrique de The xx, ce sont vos chansons unisexes utilisant habilement un tutoiement universel et non genré. Sur ton album, tu t’autorises à dire “elle” ! C’est une révolution ?
Romy Madley Croft. On peut le dire ! (rires) Ça a commencé par le titre “Loveher”. Je me suis dit : “C’est MA chanson, celle que je dois chanter hors de The xx.” Écrire ces mots, “Je l’aime, elle”, a été libérateur et ça m’a donné de l’assurance. Faire ce disque solo m’a convertie à une écriture plus directe. Dans le groupe, Oliver et moi comptons beaucoup l’un sur l’autre. Nos voix se répondent, et si j’écris le premier couplet, je n’ai pas à me soucier du deuxième puisqu’Oliver s’en charge ! Chez The xx, il y a une forme d’abstraction que j’apprécie. J’aime jouer avec ce mystère. Mais avec Mid Air, j’ai l’impression de livrer une partie plus intime de moi.
M. En fait, The xx, c’est l’histoire de trois introvertis qui ont conquis le monde…
R. M. C. (Elle éclate de rire) Tu nous as démasqués ! Ce n’est pas un hasard si nos visages n’apparaissent pas sur nos pochettes. On voulait que les gens se concentrent sur la musique. À nos débuts, être face au public me terrorisait. Ça m’a pris un temps fou pour apprécier la scène. Je crois qu’il a fallu attendre notre troisième album, I See You, pour que je commence à prendre du plaisir en live. Puis après notre dernière tournée, je suis rentrée à Londres et je me suis dit : “Il est temps d’apprendre à te connaître toi-même”. J’ai repris le DJing, je me suis reconnectée à la communauté queer de Londres… J’ai grandi !
M. Contrairement à d’autres formations, les projets solos de Jamie, Oliver ou le tien ne semblent pas menacer l’existence de votre groupe. C’est quoi votre secret ?
R. M. C. On s’aime trop pour se sentir menacé·e·s les uns par les autres ! Je suis fière de ce qu’on a accompli ensemble. Cela dit, je ne prends rien pour acquis. Quand les gens me demandent quand The xx va revenir, je prends ça pour un compliment. Notre dernier album remonte à 2017. Évidemment, j’ai peur qu’on nous oublie. C’est pour ça que je ne veux pas faire trop attendre le public. Jamie, Oliver et moi, nous nous sommes retrouvé·e·s plusieurs fois en studio depuis la fin 2022 et c’est passionnant de voir à quel point chacun a gagné en maturité musicalement. Pour moi, cet album solo, c’était aussi l’occasion d’apprendre de nouvelles choses pour les apporter à The xx. Notre prochain album sera forcément différent. Plus uptempo. Ma hantise serait de refaire le même disque encore et encore… Mais tu as raison, il n’y a pas de compétition entre nous. De toute façon, lorsque Jamie a sorti son premier album, je n’étais absolument pas prête à me lancer. J’étais juste heureuse pour lui et impatiente d’entendre ce qu’il proposait. Oliver et moi avons travaillé sur nos projets solos au même moment. Le mien a simplement pris plus de temps parce que je suis lente (rires). Ils m’ont inspirée et donné confiance en moi. Et je me suis dit : “OK j’ai quelque chose de différent à raconter”.