Sofiane Pamart est le nouveau prodige du piano. Doté de l’oreille absolue, son talent est repéré par ses parents alors qu’il reprend tout petit les génériques des mangas comme Dragon Ball Z sur son piano jouet. Après le conservatoire de Lille, il devient une étoile du piano classique, mais choisit de forger sa personnalité et son répertoire en ne jouant que ses compositions, qui ont déjà rencontré le succès avec son album Planet en 2019, revisité en Planet Gold l’année dernière. Surtout, son style détonne : vêtu de manteaux multicolores, coiffé de bobs et de petites lunettes noires rondes à la Léon, il arbore aussi des grillz, ces bijoux de dents typiques de l’esthétique rap. Les rappeurs s’arrachent d’ailleurs ses services : Sofiane compose pour SCH, Vald, Rim’K, Hatik, Scylla ou Médine, mais aussi pour des artistes pop et électro comme Bon Entendeur, NTO, Aloise Sauvage ou Kimberose. Rencontre avec un jeune hyperactif surdoué, qui vise la place de “numéro un mondial du piano” et dont les mélodies accrocheuses séduisent à la croisée de la pop et du classique.
Mixte. Comment as-tu débuté dans la musique classique ?
Sofiane Pamart. C’est lié à la relation que j’entretiens avec mes parents. Ils ne sont pas musiciens, mais ils ont une admiration folle pour ceux qui le sont. Un jour, ma mère a vu un documentaire qui disait que le piano était le roi des instruments – le fait que je m’autoproclame Piano King, ça vient d’ailleurs de là ! Je suis donc entré au conservatoire à l’âge de 6 ans. Il y avait ce rêve de l’institution, du haut de gamme, de la grande culture que renferme le conservatoire. Mais j’étais très rebelle et je n’étais pas quelqu’un de très scolaire, à l’inverse de ma mère. C’est elle qui m’a apporté la rigueur. Moi, j’avais déjà envie de composer mes propres morceaux, de jouer en fonction de mon humeur… Heureusement, elle m’en a empêché. Elle a eu une présence autoritaire stricte. C’est ce qui m’a permis d’acquérir une technique.
M. Tu parles de méthode, mais c’est quand même ton talent le déclencheur ?
S. P. Évidemment, j’avais certaines prédispositions et c’est ce qui a fait la différence. Mais je n’aime pas ce discours-là. On a tous quelque chose de spécial, à nous de le faire éclore. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de découvrir les horaires aménagés à partir du collège (l’Éducation nationale a ouvert des classes qui permettent de partager son temps d’études entre le cursus classique le matin et le conservatoire l’après-midi, ndlr). Avant, pendant toute l’école primaire, je suivais ma formation de manière traditionnelle et je dois dire que c’était assez sportif d’allier école et cours de musique et de solfège en même temps. Les horaires aménagés ont été un vrai plus.
M. Le solfège ne t’a pas rebuté ?
S. P. C’est vrai que je n’aimais pas ça. J’ai eu des profs qui ne m’ont pas compris, d’autres qui m’ont aidé à y trouver un intérêt. Il y a un côté mathématique qui peut être cool si c’est vu sous cet angle.
M. C’est une chance de trouver un intérêt au solfège ! Pourquoi ne pas en faire profiter tous les enfants qui n’aiment pas ça sur Youtube, comme Yvan Monka avec les maths ?
S. P. Ce qu’il faut, c’est proposer quelque chose de pas trop théorique. Si tu passes par des cas pratiques, la notion de solfège coule toute seule. J’avais lancé une boîte pour transmettre ma pédagogie, mais avec toutes mes actualités, c’est resté en stand-by.
M. Tu as le temps de jouer le répertoire classique ?
S. P. Non, plus du tout. Mon temps est tellement compté, que chaque fois que je me mets au piano c’est pour composer de nouvelles œuvres. Ça fait cinq ans que je n’en ai plus le loisir. Au départ, c’était volontaire : j’avais décidé de désapprendre en trois ans mes quinze années d’apprentissage. Après ça, je me suis vraiment senti libre. Je pense que j’y reviendrai, mais beaucoup plus tard. En plus, pour moi, ma musique est de la musique classique.
M. Que penses-tu du répertoire imposant de la musique classique, qui est l’aboutissement quasi obligatoire pour tous les jeunes instrumentistes ?
S. P. Le problème n’est pas le répertoire, qui est magique, mais ce qu’il y a autour. C’est une pratique tellement exigeante que tout le monde se construit des postures et rend le tout rigide. C’est dommage pour un art de si haut niveau. On pourrait l’aborder comme les compositeurs à l’époque où ils ont créé leurs œuvres. Mais le classique est une musique qui a des siècles d’histoire, et les interprètes ont poussé le jeu à des niveaux d’excellence qui conduit le public à comparer les versions. J’ai la chance de ne pas avoir ce problème, parce que je joue mes œuvres. Le grand maître avec lequel je me suis le plus entendu, Henri Barda, me disait : “Il faut que tu apprennes les œuvres jusqu’à en devenir auteur”. Lui les transposait dans tous les sens pour être sûr que ses doigts ne guident jamais son inspiration. Je l’ai rencontré quand j’avais 19 ou 20 ans, au moment où je commençais à avoir accès aux maîtres qui te préparent aux plus grands concours. Dans chaque pays, on a des sommités du piano qui prennent sous leur aile des poulains pour leur permettre d’éclore.