Avec son troisième album explosif intitulé “Endure”, Special Interest, groupe punk originaire de la Nouvelle-Orléans, nous dresse un constat sans appel sur l’Amérique contemporaine, toujours aussi violente et intrinsèquement raciste. Rencontre avec un groupe unique en son genre qui mêle danse, rage et engagement.

Comment ne pas être punk dans l’Amérique post-Trump de 2022 ? Special Interest vient d’apporter une réponse limpide à cette question sous la forme d’un disque radicale et tranchant. “Endure”, leur nouvel album, est ce qu’on a entendu de plus lucide sur les Etats-Unis depuis un bail. Le groupe, formé à la Nouvelle-Orléans (patrie de Lil Wayne et de Big Freedia) et composé de la guitariste Maria Elena, du bassiste Nathan Cassiani, Ruth Mascelli aux synthés et à la programmation et d’Alli Logout (chant), ne fait pas un statement de son identité queer. Leur propos va bien au-delà : « Ça n’est que qu’une partie de nos identités sexuelles et de genre avec laquelle on est parfaitement à l’aise mais ça ne va pas nécessairement plus loin. En tout cas soniquement. » Special Interest entend surtout présenter à l’AmeriKKKa un miroir cru. Pour qu’enfin, elle se regarde en face.

« Qui s’est fait refiler le rêve américain / Pour faire une OD sous fentanyl/ Dans un régime fasciste / Qui ne peut rien s’acheter / Parce que les prix sont scandaleux / On n’a même pas de maison / Le proprio nous a viré » hurle Alli Logout, chanteuse du groupe, sur Concerning Peace. De la colère, Logout en a à revendre. « Je fais une différence entre la rage et la colère, précise la chanteuse. Oui, je ressens de la rage mais pour moi, c’est une façon d’être véritablement engagée. » Cette femme noire et queer a des tas de raisons d’avoir la fièvre : racisme structurelle, violence policière, homophobie, transphobie… « Y’a de quoi en avoir vraiment marre. On en parle, on fait des manifs. Mais rien ne bouge! »

Chemise en coton, Chaussettes en cachemire, boucle d’oreille en laiton argenté, Dior Men. Boucle d’oreille, Personnel.

Ce troisième album – le premier à paraitre sur l’exigent label Rough Trade – a été enregistré à la mi-2020 à un moment critique de l’histoire américaine, entre confinement, le meurtre de George Floyd et invasion du Capitol par les néonazis. Alors forcément à l’arrivée, le mélange est instable. Des sons et des influences qui ne devraient jamais se rencontrer se percutent : techno hardcore, glam rock, disco italienne, funk et même Amanda Lear, dont le groupe a repris l’hymne Follow Me: « Tu la connais ? Pour nous c’est une icône absolue ! Au-delà de sa musique ou de sa peinture, on est des fans de Roxy Music et elle pose sur la pochette de For Your Pleasure ! On l’adore ! », s’emballe Ruth.

Si des titres comme LA Blues ou Foul ou l’hypnotique (Herman’s) House sentent le souffre, il y a tout de même de la place pour la tendresse sur ce grand disque politique. Comme sur Midnight Legend, titre où Mykki Blanco passe une tête le temps d’un featuring céleste. Une chanson présentée comme « une ode aux filles qui sortent de club à 6 heures du mat’ »: « J’ai écrit cette chanson en plein confinement, se souvient Alli. J’étais super déprimée. On ne pouvait pas sortir. Pas danser. Voir des culs onduler frénétiquement, ça me manquait. (rires) Plus sérieusement, le monde de la nuit est une très belle communauté mais qui devrait prendre plus soin d’elle. Cette chanson parle d’écouter ses ami.es, leurs problèmes. Être capable de reconnaitre leurs douleurs et leurs difficultés… Même si au final, personne ne peut t’aider à part toi-même. »

Egalement cinéaste, Logout elle signe le très beau clip de ce single où l’on se faufile avec elle dans un club tenu par des meufs queers au bord de la crise de nerfs (toute référence à Pedro Almodovar n’étant pas fortuite): « Dans le clip, je voulais vous montrer que les clubs, même queers, font aussi partie du problème. On y voit un videur taxer la drogue à quelqu’un à l’entrée puis la refiler à un autre dealer dans la boite. C’est une scène que j’ai vue de mes yeux dans un club à Dallas. Les clubs ne sont pas des paradis. Ils reproduisent ce qui se passe à l’extérieur. » On y pensera lors de notre prochain after.

« Endure », l’album de Special Interest est disponible chez Rough Trade/Beggars