“Opus” (2025) de Mark Anthony Green

Alors que le festival de Sundance ouvre ses portes pour sa 41ème édition cette semaine, Mixte fait le point sur les principaux bourgeons d’un indé US quasi enterré sur l’autel des plateformes et qui n’a pourtant pas dit son dernier mot.

A24 : c’est le seul mot à la bouche des commentateurs du cinéma indépendant américain depuis 12 ans. Le studio le plus en vue du paysage s’est d’abord fait un nom en tant que distributeur de cinéma d’auteur aux méthodes marketing originales et audacieuses (goodies collector, usage des réseaux, campagnes d’affichage hors norme…), puis comme producteur bientôt oscarisé, avant de muter peu à peu en une quasi-major à la fan base très fédérée. L’âge d’or A24, marqué par “Moonlight“, “Uncut Gems“, “Ladybird“ ou “Hérédité“, et qui a formé un safe space salutaire pour le cinéma d’auteur indépendant au moment où les plateformes menaçaient de le siphonner, semble pourtant une page en train de se tourner, alors le studio se lance désormais dans des projets de plus en plus coûteux et commerciaux. C’est dans ce contexte de rebattage des cartes que s’ouvre la grand-messe annuelle de Sundance, signal d’entrée dans une nouvelle ère moins monopolistique, marquée par une diversification du paysage, et la réémergence de voix fortes. Actrices et acteurs, réalisatrices et réalisateurs, collectifs, boîtes de prod’ : l’écosystème renaît de ses cendres, n’a pas affiché une telle effervescence depuis les années 2000, et 2025 s’annonce comme une grande année. Tour d’horizon de celles et ceux qui réveillent le paysage, et qui devraient la marquer.

1. Ayo Edebiri

Sans doute l’icône principale de la cinéphilie gen Z, même si les autres générations ignorent pratiquement son existence – c’est bien la marque des seules stars véritables. Noire, queer, hilarante notamment sur Letterboxd, réseau social lui-même érigé en emblème générationnel et dont elle est l’utilisatrice la pluie suivie : autant dire la Kylie Jenner des A24 kids. Tout ceci resterait quelque peu superficiel si Edebiri ne s’invitait pas dans tous les castings les plus convoités : tête d’affiche d’“Opus”, le film d’horreur arty le plus attendu de Sundance, on la verra également dans le retour historique de James L. Brooks (on en reparle plus bas), en même temps que dans les séries populaires dont elle est un pilier (“Big Mouth”, “The Bear”) et dans du cinéma d’auteur grand luxe. Effortless et incontournable.

2. Josh O’Connor

Depuis une révélation dans “The Crown” qui n’en avait cependant pas fait instantanément le it acteur de sa génération (il faut dire que le rôle du détestable prince Charles n’était pas le plus avantageux qui soit), le britannique s’est depuis hissé en chouchou du cinéma indépendant grâce à d’excellents choix aux quatre coins de la cinéphilie de bon et de mauvais goût. Bientôt de retour chez Luca Guadagnino après “Challengers” dans une romance qui l’unira à Léa Seydoux, il vient également de tourner un film de trafic d’art sur fond de guerre du Vietnam, “The Mastermind”, signé de la papesse indie Kelly Reichardt, et prépare le retour à la science-fiction de Steven Spielberg. L’auteurisme hollywoodien ne s’était pas jeté à ce point sur un acteur depuis… Adam Driver ?

3. Maika Monroe

Tout vient à point à qui sait attendre. Depuis sa révélation en 2014 dans “It Follows”, la jeune actrice a entamé une longue traversée du désert, garnie de rôles souvent principaux dans des films majoritairement oubliables. Un acharnement qui l’honore : courage et rareté d’un jeune espoir féminin qui avait toutes les cartes en main pour convertir confortablement sa révélation dans un parcours classique de néo-célébrité, mais qui a préféré continuer de s’aventurer dans des projets marginaux, et avec beaucoup de primo-cinéastes. Le karma rembourse toujours : le carton inattendu de “Longlegs” en 2024 la remet au devant, et son agenda est plus que rempli, avec cinq films à venir, dont une suite très attendue à “It Follows” avec le même réalisateur. Le principal visage du genre le plus couru du moment : l’horreur arthouse.

4. Tyler Taormina

Ce réalisateur natif de Boston est la figure principale du collectif Omnes Films, qui vient de sortir coup sur coup deux films (“Noel à Miller’s Point” réalisé par lui-même, et “Eephus” de Carson Lund, son chef-opérateur), et se pose d’emblée sur le devant de la scène. Objets d’une rumeur très positive, les gars d’Omnes sont un peu les jeunes cinéastes à la fois drôles, sensibles et cool sur qui tout le monde voudrait miser, plus ou moins à l’endroit où se trouvaient les Safdie il y a quinze ans : sélectionnés à la Quinzaine à Cannes, très sûrs d’eux sans pour autant donner l’air de se la jouer non plus, hipsters sans être snobs…

5. Mary Bronstein

Réalisatrice injustement oubliée de la mouvance mumblecore (mouvement radicalement lo-fi ayant irrigué l’indé des années 2005-2010, dont sont notamment issus les Safdie ou Lena Dunham), elle est pourtant l’autrice d’un des tous premiers films de Greta Gerwig, le génial “Yeast”. Voir son nom aux commandes d’une comédie noire très attendue à Sundance (“If I Had Legs I’d Kick You”) dotée d’un casting hors-norme (Rose Byrne, Conan O’Brien, A$AP Rocky…), d’un ton surréaliste et d’un sujet fort (la monoparentalité) augure possiblement un retour fracassant sur le devant de la scène, mixant son sens du crowd pleasing et son authentique radicalité.

6. James L. Brooks

Le nom et le génie de ce producteur et réalisateur sont pour partie un secret d’initié – sa déification concerne une niche cinéphile, ainsi qu’une partie conséquente de la profession, tandis que le grand public l’identifie un peu moins, malgré l’hypercélébrité de certaines de ses productions (“Jerry Maguire”, “Big”…). Son retour à la réalisation à 84 ans, après quinze ans d’inactivité, est en tout cas un événement majeur, rare et précieux façon comète de Halley. “Ella McCay” devrait atteindre son premier grand festival dans le courant de l’année : on y retrouvera Ayo Edebiri, Jamie Lee Curtis, Woody Harrelson, autour d’une Emma Mackey qui a pratiquement donné son nom au personnage, dans une intrigue à la fois politique et sentimental. Le grand mélodrame indé annoncé de 2025.

7. Luca Guadagnino

Hyperactif, l’auteur de “Call Me by Your Name” prépare une suite à son chef-d’œuvre, et sort depuis peu à un rythme d’un voire deux films par an, dans des thèmes toujours plutôt sexuels ou sentimentaux mais des registres variant largement de la comédie au mélodrame. Il sortira “Queer” fin février avec Daniel Craig, “After The Hunt” plus tard dans l’année – un thriller érotique vénéneux avec Julia Roberts et Andrew Garfield –, et a encore trois à cinq autres films à des stades divers de développement. Il écrit frénétiquement, tourne facilement, et tout le star system défile devant sa caméra – on croirait le Woody Allen des années 90.

8. Josh et Benny Safdie

On ne présente plus les deux frères réalisateurs de “Good Time” et “Uncut Gems”, mais il reste important de noter qu’ils sont désormais des repères centraux du paysage, a fortiori depuis qu’ils réalisent chacun de leur côté, ce qui pourrait les amener à sortir deux chefs d’oeuvre coup sur coup en 2025, chacun dans le registre du biopic sportif : Benny dans le milieu du catch avec “The Smashing Machine” interprété par Dwayne Johnson, Josh dans celui du ping pong avec “Marty Supreme”, porté par Timothée Chalamet. Tous deux produits par A24, Josh étant par ailleurs coproducteur d’un autre film présenté à Sundance (“Atropia”), ils sont en quelque sorte les grands frères de tout le milieu, figures à la fois brillantes, sympathiques, inattendues, hyperactives, dictant le tempo de l’indé.