À l’affiche d’un premier film à fleur de peau, la jeune Tallulah Cassavetti a tout du nouvel espoir féminin prêt à déferler sur le cinéma français.

Tallulah Cassavetti, 19 ans, tient le rôle principal de De l’or pour les chiens (en salles le 25 novembre), premier film de la réalisatrice Anna Cazenave Cambet et singulière coming of age story dont l’héroïne provinciale, Esther, s’entiche d’un Parisien rencontré en vacances. Esther tentera de le rejoindre par surprise à la capitale, pour n’y trouver qu’un monde dur et hostile, qui ne veut pas de son amour – car de l’amour, Esther n’a que ça à donner, aveuglément, inconditionnellement, à tout ce qui croise son chemin, excepté à elle-même. Le film, lui, en a déjà reçu beaucoup. Nommé dans la sélection 2020 d’une Semaine de la Critique particulière puisque privée de son tremplin cannois – mais qui a tout de même fait son travail de dénicheuse de nouveaux talents puisqu’elle s’est finalement tenue au Festival du film francophone d’Angoulême –, il s’affirme comme l’une des révélations de cette fin d’année. De l’or pour les chiens offre à son interprète le point de départ idéal d’une carrière à laquelle sa puissance de corps et son âme enjouée ont encore beaucoup de beaux chapitres à ajouter. On a demandé à cette presque encore adolescente, et à son alter ego de fiction, ou un peu aux deux à la fois, si cet âge est oui ou non le plus beau de la vie (évidemment, elles n’ont pas la même réponse).

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MIXTE. Dans quel monde as-tu grandi ? 

Tallulah Cassavetti. J’ai grandi à Paris, dans le 20e arrondissement, dans un environnement où la culture était une valeur très importante, avec des parents journalistes qui m’ont fait voir beaucoup de films, lire énormément de choses. Moi, j’adorais dessiner, même si j’ai arrêté depuis. J’étais dans un lycée d’arts appliqués et aujourd’hui, je fais des études de céramique.

M. Quel type d’enfant étais-tu ?

T. C. J’ai toujours été très extravertie, très à l’aise avec les gens. J’étais aussi hyper casse-cou. Mais j’ai perdu ça, et ça me rend triste. Je ne peux plus rien faire. Je grimpais dans les arbres… aujourd’hui, je n’y arrive plus du tout, ça me saoule. J’aimerais bien avoir un bon niveau en skate, mais je n’y arrive pas, parce que j’ai trop peur. Il paraît que c’est un phénomène physique explicable : quand on est enfant, le lobe de la peur n’est pas encore bien développé et on ne craint pas vraiment de mourir. Maintenant, j’ai cette peur, et ça m’attriste. Récemment, je jouais avec des amis à répondre à la question : “Si tu pouvais faire un vœu et avoir une compétence, ce serait laquelle ?” Eh bien, pour moi ce serait avoir un bon niveau en skate, ou être hyper forte en code, j’adore le codage. Quand j’étais petite, je voulais être ingénieure, faire polytechnique. Depuis, j’ai laissé tomber.

M. Quand et pourquoi as-tu eu envie de devenir actrice ? 

T. C. Bien sûr qu’enfant, si on m’avait demandé si je voulais être actrice ou chanteuse, j’aurais dit oui. C’est un rêve assez commun. Mais je n’ai jamais pensé que c’était quelque chose de possible : je n’ai pas suivi d’études de théâtre ou de choses de ce genre. En revanche, j’ai fait de la figuration pendant quelque temps. C’était marrant et ça rapportait un peu d’argent. Un jour, la personne qui me filait ces plans me transmet une annonce de casting sérieux. J’envoie une tape, ils me retiennent, mais finalement le film ne se fait pas. Un an plus tard, la directrice de casting me rappelle. Elle cherche quelqu’un pour une performance sur le défilé Kenzo : on devait jouer en direct une scène, faire des mouvements répétitifs, marcher au ralenti, ce genre de trucs. J’ai été sélectionnée ; je devais avoir 15 ans. Encore un an plus tard, elle poste un jour sur Instagram : “Cherche jeune fille, 18 ans, à tête forte.” J’envoie ma candidature, je passe des essais, et je suis engagée.

M. C’est quoi pour toi une tête forte ? 

T. C. Je ne sais pas, c’est… moi ? (rires) En tout cas, je me suis dit : “Ah, c’est moi !” Tout le monde a une tête forte, en vrai. Mais je trouve que j’ai une vraie personnalité.

M. Comment t’es-tu retrouvée à faire de la céramique ? 

T. C. Quand j’étais au collège, je voulais me diriger vers une filière générale pour pouvoir ensuite faire polytechnique. Un jour, j’ai rêvé que j’étais en cours au lycée, et que j’avais envie de mourir, tellement je m’ennuyais. En me réveillant, j’ai changé mes plans. J’ai envoyé ma candidature à un lycée d’arts appliqués, où j’ai été prise facilement parce que j’avais des bonnes notes. Au début, je me disais que j’allais faire du design produit, du design industriel, big mind. Et en fait, je me suis rendu compte que j’avais besoin d’un rapport à la matière. J’ai postulé pour plusieurs spécialités : le métal, le vitrail, la céramique. J’ai été acceptée en céramique, et j’ai adoré. C’était la première fois que j’étais vraiment nulle en classe, et ça motive à un point fou. Tu as un truc dans la tête, tu essaies de le faire, mais ça ne marche pas. C’est incroyable. Maintenant ça va, je me suis améliorée. Mais ça a changé ma vision des choses, ce rapport direct à la matière. J’aime fabriquer des objets : réaliser ton bol, faire ton truc à toi. Il y a peut-être aussi quelque chose de cet ordre dans le travail d’actrice : c’est certes de l’image, du fantasme, mais en le faisant il n’y a rien de plus concret. On te demande quelque chose, tu le fais, bien ou non. C’est une expérience physique. D’ailleurs, pour la céramique comme le jeu, on utilise le même verbe : on dit “tourner” pour la caméra et pour le tour du potier.

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M. Tu aimerais mener ces deux activités parallèlement ? 

T. C. Carrément, les deux sont très viables. Dans mes rêves, je tourne un film par an et je passe le reste de l’année dans mon atelier à tourner.

M. Qu’est-ce qui t’a touchée dans le personnage d’Esther ? 

T. C. C’est ma rencontre avec Anna, la réalisatrice, qui a été décisive. J’ai accepté de faire le film parce qu’elle m’a plu et que j’ai eu confiance en elle. Anna, je pense que c’est la plus belle rencontre que j’ai faite dans ma vie jusqu’à présent. J’en suis tous les jours reconnaissante. C’est parce que c’était elle, que j’ai fait le film. Esther, au début, je ne la comprenais pas du tout. On a passé beaucoup de temps à parler du personnage avec Anna. Je n’ai pas le même rapport à la vie qu’Esther : je viens de Paris, je n’ai jamais vécu ailleurs, je sais comment est la vie urbaine, je me méfie des gens. Elle, c’est le contraire. Au fil de nombreuses discussions avec Anna, on a créé le personnage. On décortiquait : pourquoi elle fait ça, quelles sont ses motivations, comment est-ce qu’elle vit ? Au bout d’un moment, j’étais arrivée à un stade où je pouvais dire : “Non, Esther ne ferait pas ça.” Et là, c’était parti. Maintenant, je la comprends. Mais c’était du travail.

 

M. La candeur d’Esther, sa façon de se donner corps et âme, c’est une attitude dont tu te méfies ? 

T. C. Elle m’impressionne énormément, elle est bien plus forte que moi. Se donner, ça demande une force double. Savoir quoi faire, et l’envoyer aux autres, c’est plus intense que vivre pour ça et tout retenir. C’est vraiment la phrase bateau, mais elle m’a beaucoup appris…

M. Qu’est-ce qui, dans le tout-venant des récits coming of age classiques, te parle ou justement ne te parle pas ? 

T. C. Le truc basique du coming of age, c’est que, pour se trouver, une fille va passer par l’amour, généralement par un mec, et finir par baiser. Et ça veut dire que c’est bon, elle s’est trouvée. Dans la vie, c’est différent : on sort de cette expérience et on n’est pas plus avancée. Ce que j’aime dans le film, c’est que ça raconte ce qui se passe à partir de ce moment-là, le travail qu’on fait après, et surtout qu’on fait seule, avec soi-même, sans se vivre à travers les autres.

M. Le film s’ouvre en effet sur une scène de sexe. Comment as-tu abordé avec la réalisatrice ce moment forcément particulier, voire difficile, pour un premier tournage à ton âge ? 

T. C. On a été hyper méthodiques. Par exemple, c’est la seule scène qu’on a répétée, chorégraphiée. Anna m’avait dit très rapidement qu’elle souhaitait tourner cette scène, qu’elle était gênée par le sexe gratuit au cinéma mais que là, pour le coup, c’était important et justifié. Elle ne prend pas à la légère le fait de demander à ses acteurs de se mettre (à) nu comme ça, ce qui était très rassurant pour moi. On a aussi beaucoup discuté, mon partenaire de jeu, Corentin Fila, et moi, de ce qu’on avait envie de montrer, de faire sentir à l’autre et au spectateur. On a établi des listes de ce qu’on s’autorisait ou pas : “Tu n’as pas le droit de faire ceci, de me toucher là, etc.” Ce genre de scènes, je pense qu’il faut les aborder comme des cascades, pas comme des trucs où on laisse les gens faire ce qu’ils veulent. Pour moi, en tant qu’actrice, c’était un soulagement : ce n’est pas moi qui me mets en scène avec Corentin, c’est Esther qui couche avec Jean. Elle couche d’une certaine façon, elle pense d’une certaine façon, et c’est détaché de moi.

Le travail d’actrice, certes c’est de l’image, du fantasme, mais en le faisant il n’y a rien de plus concret. C’est une expérience physique.

M. Esther consigne avec précision ses performances sexuelles avec Jean dans son journal, qu’on t’entend lire en voix off.

T. C. Ça, c’était la pire scène pour moi… J’étais beaucoup plus gênée de verbaliser le sexe que de le jouer. C’est là où je me disais que cette meuf est cheloue. Certaines choses qu’elle dit me dévastent. Comme… Je n’arrive même pas à le répéter, tu vois, je suis hyper gênée !

M. Parce qu’elle consigne le sexe de façon très crue et froide, comme un sportif qui note ses résultats pour s’améliorer, et qu’on ne voit pas où est son plaisir ?

T. C. Sûrement… Esther ne prend pas de plaisir à proprement parler quand elle couche avec Jean, mais elle en a en le regardant, en sachant qu’elle fait l’amour avec lui, et que lui est bien. Mais en soi, l’acte la laisse indifférente. Elle ne recherche pas la jouissance. C’est acceptable, il n’y a pas de jugement, ni venant du film ni de moi. Mais c’est quand même la part tragique de son existence, et c’est probablement le cas pour beaucoup de femmes.

M. Dans la seconde partie de l’histoire, Esther trouve refuge chez des religieuses. Elle n’a sans doute pas la foi, mais le monastère est aussi un endroit dépourvu d’hommes – or, justement, la plupart des figures masculines du film sont médiocres voire nocives, que ce soit Jean, qui la rejette, ou son beau-père, qui lui manifeste un désir malsain. Est-ce que les espaces sans hommes sont des abris nécessaires ? 

T. C. Il y a quand même des hommes bien dans le film : le serveur, le garçon qui la prend en stop. Et dans le monastère, c’est marrant, parce qu’à un moment, elle parle à la jeune retraitante, elle lui montre le jardinier au loin et elle dit : “Ah, je savais bien qu’il y avait un homme, ici !” Et puis, il y a Dieu aussi. Les nonnes ont un rapport très sensuel à Lui, quand on lit leurs textes : il est dans leur couche, elles sont ses femmes… Mais plus généralement, la non-mixité est une très bonne question, je m’interroge beaucoup sur sa nécessité. En l’état actuel des choses, je dirais qu’elle est réelle. Je ne l’ai jamais expérimentée, mais j’ai des amies qui ont fréquenté des lieux, des clubs, des soirées non mixtes, sans être forcément pour à la base, et elles disent qu’elles ne se sont jamais senties aussi safe.

M. J’ai lu que ce qui a d’abord frappé la réalisatrice Anna Cazenave Cambet chez toi, c’est la danse. Ça fait partie de toi ? 

T. C. Effectivement. Je danse très souvent. J’adore ça. J’aime aussi regarder les gens danser, qu’ils soient bons ou moins bons danseurs. C’est un moment où on s’oublie.

M. Tu as des rôles modèles, des actrices préférées ? 

T. C. J’adore Béatrice Dalle. Elle a une incroyable force. Quand elle brûle tout dans 37,2° le matin, j’adore. C’est la sorcière. En plus, elle a fait plein de films d’horreur, c’est trop bien.

M. De l’or pour les chiens a été pris à la Semaine de la Critique, mais Cannes n’a pas eu lieu, sa vie festivalière est donc particulière. Te sens-tu privée de quelque chose ? 

T. C. J’étais hyper contente, c’est mon entourage qui était déçu pour moi. Avec Anna, on a pleuré de joie. J’étais allée me faire les ongles, et je reçois un appel d’elle : “On est prises à la Semaine de la Critique !” Je me suis mise à pleurer, j’ai hurlé. Et puis, tout le monde a essayé de me tuer le truc ! J’étais là : “Ta gueule, on s’en fout de Cannes !” Et maintenant, ça a déteint sur moi, je trouve ça un peu nul que Cannes n’ait pas lieu. C’est juste dommage pour le film, d’un point de vue business : il n’a pas la même couverture médiatique, le marché international, etc.

M. De manière générale, entrer dans le monde du cinéma sur une année aussi noire, pour les exploitants, pour les festivals, est-ce dur ? Comme arriver alors que la fête est finie ? 

T. C. Oui et non. C’est dur, mais c’est la seule année que je connais, et pour moi, c’est une année formidable. Bien sûr, que c’est triste… mais il y a des choses plus graves, non ?

M. Tu viens de signer chez une grosse agence, UBBA. Quels films as-tu envie de faire ? 

T. C. Je me rends compte que ce n’est pas si souvent que les acteurs sont fiers du film qu’ils ont fait, au-delà de leur propre performance ou de leur rôle. Moi j’éprouve une immense fierté pour De l’or pour les chiens. C’est ce sentiment que j’ai envie de garder, être fière de mes films, qui correspondent à ce que j’aime voir. C’est bizarre de dire ça après un seul tournage, mais les premiers films aussi, je trouve ça bien. Rester dans l’inconnu, faire confiance aux gens, et notamment aux jeunes.

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Grooming : Rimi URA @Walter Schupfer Management. Assistante styliste : Elyse ARNOULD DEROSIER. Opérateur Digital : Philippe @A STUDIO.