5. Créer en s’amusant
“La réception de mon travail est ce qui m’amuse le plus. On me dit souvent : ‘C’est bien, c’est drôle’ plutôt que ‘C’est beau’. J’aime beaucoup l’idée que l’on arrive dans un délire où le drôle peut être joli. Je pense, par exemple, à mes grandes coiffes XXL noires sur la tête des mannequins qui défilent, comme la saison passée, ou encore à mon sac Kougelhof, les gros pompons… Les gens vont me dire que c’est décalé, amusant, ce n’est jamais censé n’être que purement joli. Je veux faire sourire. Par exemple, j’ai imaginé un sac baguette inspiré de ceux de Carrie Bradshaw dans Sex and the City, mais sculptural, rigide, sur lequel tu peux poser un verre ou rouler une clope, et que tu peux dézipper, attacher autour de la taille et transformer en banane si jamais tu veux aller danser. J’adore qu’un sac ait plusieurs vies. La maroquinerie n’est pas suffisamment source d’expérimentation. Chez nous, on aime qu’elle soit couture, une forme de sculpture qui vient finir une silhouette. Cela dit, je fais vraiment la distinction entre mes créations importables et mon prêt-à-porter destiné à être vendu et donc porté. Pour ce dernier, j’essaie de retranscrire mon univers en glissant, par exemple, quelques détails dans une salopette. La réalité, c’est que j’aimerais porter mes fringues, tout comme mes potes vont vouloir les mettre au quotidien, alors je pense aussi en termes d’offre commerciale simplifiée. Il en émerge un entre-deux, par exemple une robe à corset, certes, mais moulante et adaptée à la vie quotidienne, qui arbore un imprimé en lycra représentant des femmes nues dans un motif un peu psychédélique. Mon plus grand stress, c’est que les gens en parlent et qu’ils trouvent ça beau, mais que, dans la vie de tous les jours, ça n’ait pas sa place.”
6. Cultiver son entourage
“J’aime avant tout le contact humain, les choses et les gens simples, comme j’ai pu l’observer chez Jean Paul Gaultier, qui traitait tout le monde de la même manière et s’entourait de personnes très différentes. Cette envie de connexion m’a mené à travailler avec des gens en tous genres, avec qui j’avais des liens forts et qui m’inspirent, comme Germain Louvet, ami danseur à l’opéra de Paris ; avec Mimi, danseuse de cabaret, Raya (Martigny) et Amande (dixit Bottes de Queer sur Instagram) qui défilent pour moi, la musicienne Sam Quealy que j’adore également, toutes ces faces singulières aux personnalités assumées. Il y a aussi les performeuses du Manko – je pense notamment à Julie, une de mes meilleures amies, avec une gueule et une présence incroyables, qui amène un côté cirque très sombre. J’aime l’idée que chacun.e a une histoire, un background, et que ça participe à la construction d’un récit très riche. Et puis, ça me rappelle le mien, celui de danseur, que je continue instinctivement d’emmener vers la mode.”
7. Embrasser ses origines
“Plus jeune, je n’étais pas vraiment fier de dire que j’étais alsacien, mais avec le temps, j’ai commencé à apprécier, puis carrément à revendiquer mes spécificités culturelles : il y a un humour particulier, la présence de certains clichés qui me parlent beaucoup et avec lesquels je m’amuse. Les grosses choucroutes, les énormes coiffes à l’alsacienne, tout cela me touche véritablement, et aujourd’hui, je me sens plus alsacien que jamais. Autrefois, c’était important pour moi de ne pas avoir l’accent, mais aujourd’hui je m’en fiche, au contraire, j’y vois un charme que j’assume. J’ai même fait une collection entière inspirée par l’Alsace, qui s’appelait Hopla Geiss pour le Printemps-Été 2022. C’est une expression que ma grand-mère employait sans cesse, qui signifie ‘aller, on y va’, comme pour dire ‘allons, à table’. Littéralement, ça veut dire ‘la chèvre qui saute et ça désigne un élan. Là, j’ai pris des codes assez connotés et détournés, comme des espèces de bretzel dans les cheveux, par exemple. J’ai glissé beaucoup de petits détails et d’accessoires, précis et retransformés – plutôt que de simples gros frous-frous –, comme ces motifs de linge de lit et de coussins alsaciens avec des carreaux noirs et rouges, retranscrits à ma manière mais lisibles.”
8. Questionner son propre milieu
“Je me demande souvent l’importance de créer et de posséder de nouvelles fringues lorsqu’on sait qu’économiquement, la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Cependant, je me dis que chacun à son échelle, même à un tout petit niveau, peut changer les mentalités autour de la façon de penser la mode et de la consommer. Je récupère beaucoup de tissus, j’achète un minimum de neuf. Ma pratique de l’upcycling n’est pas la même que celle de Jean Paul Gaultier : lui, il déconstruit une veste existante et en fait une pièce neuve – moi, je vais plutôt aller récupérer et utiliser du deadstock de cuir, pour éviter de générer une demande de nouvelles peaux d’animaux, alors qu’il en existe déjà tellement. J’ai également ouvert les yeux sur l’usage de la fourrure. Je fais beaucoup de recyclage et j’espère pouvoir, à mon niveau, aider à instaurer un changement dans les mentalités au sein de l’industrie du luxe.”