2. En revisitant et en pimpant le vestiaire masculin créole
“L’imagerie créole est trop souvent empreinte de clichés. Il y a tout un tas de photographies de type ethnographique de la fin du xixe siècle qui ont contribué à véhiculer une vision uniquement pensée par et pour l’Europe ; comme une sorte de mise en scène folklorique dont les codes poussés à l’extrême ont occulté une réalité qui n’a jamais vraiment été comprise. En voyant ces photos, j’ai compris qu’on pouvait être une somme de clichés que les gens ont du mal à dépasser. C’est là qu’en faisant des recherches et du sourcing plus poussés sur l’esthétique vestimentaire créole masculine – que ce soit à travers des billets de banques, des cartes postales ou d’autres représentations picturales des Antilles –, je me suis rendu compte qu’il y avait des détails stylistiques hyper intéressants, dont beaucoup de codes associés à certains statuts et métiers : pêcheur, marchand de charbon, primeur, conteur d’histoire, diseur de bonne aventure… ou encore, plus récemment, tous les éléments liés à la culture musicale dancehall et hip hop. Je suis parti de cette amorce pour renouveler le vestiaire créolisé en associant des références déclinées des costumes traditionnels (le macramé, le crochet, la broderie le filet de pêche…), avec des éléments plus actuels et plus techniques (un bomber, du workwear, du sportswear, un hoodie, du denim ou encore un imprimé tie and dye inspiré de la culture rastafari), le tout avec un aspect plus queer et plus gender-fluid notamment inspiré d’une mode masculine plus excentrique qu’on peut le voir durant la période du carnaval : du satin, des couleurs comme le rose ou le baby blue, un jockstrap… Ma proposition est assez simple, au final : il s’agit, par le vêtement, de donner une représentation plurielle de l’homme créole.”
3. En redonnant un sens politique et militant au vêtement
“Le vêtement a toujours servi à exprimer qui l’on est : le statut social, la classe, la profession… C’est du langage non verbal. Qu’on le veuille ou non, les gens définissent l’identité de quelqu’un par ce qu’il ou elle porte. Et l’appartenance à un groupe et le processus d’identification se font aussi par le vêtement. Je crois d’ailleurs que c’est la première chose qui peut fédérer les gens et véhiculer un message. Regarde les Gilets Jaunes ou les Black Panthers… Sachant ça, je ne pouvais pas passer à côté de certains aspects politiques, sociologiques et écologiques actuels liés aux Antilles et à la culture créole. C’est pour ça qu’on retrouve sur certaines de mes pièces un imprimé inspiré du charançon (cet insecte qui détruit les plantations de banane à la Martinique, ndlr), tout comme un dessin inspiré de la molécule du chlordécone (insecticide et pesticide ultra-toxique utilisé dans les Antilles françaises entre 1972 et 1993 sous les noms commerciaux de Képone et Curlone, pour lutter contre le charançon du bananier, et qui est aujourd’hui responsable d’un scandale sanitaire sans précédent avec une recrudescence de cancers et une forte contamination des sols et des ressources naturelles, ndlr). J’ai aussi fait référence au Bumidom, le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer, qui avait été créé en 1963 par Michel Debré pour pallier le manque de main d’œuvre en Métropole et un fort taux de chômage en Outre-mer (un pan sombre de l’histoire française oublié, aujourd’hui entaché par des scandales d’exils forcés et de déportation, notamment au travers de l’affaire des ‘Enfants de la Creuse’, ndlr). Cependant, j’ai aussi voulu véhiculer des messages plus optimistes comme avec ce tee-shirt à l’effigie de Christiane Taubira, sur le modèle d’une pièce de monnaie et sur lequel il est écrit ‘I don’t want to die without Taubira presidente’ (Je ne veux pas mourir sans que Taubira soit présidente). Elle fait clairement partie des symboles de notre génération.”