Vincent Frédéric-Colombo porte un ensemble en organza et un débardeur en coton de sa marque C.R.E.O.L.E

Avec sa marque C.R.E.O.L.E, le jeune créateur de mode et directeur artistique Vincent Frédéric Colombo s’est donné comme mission de célébrer une créolité masculine teintée de queerness et de gender-fluidity.

Figure de la mode et de la nuit parisiennes (il est le créateur, avec Fanny Viguier, de la mythique soirée LA CRÉOLE), Vincent Frédéric Colombo a lancé cette année sa marque de vêtements C.R.E.O.L.E après avoir fait ses armes en vente et merchandising à la fameuse boutique parisienne KokoN To Zaï, mais aussi en tant que casteur pour des marques de renom comme Vivienne Westwood ou Bernhard Willhelm. Hommage à son histoire et à son héritage afro-caribéens, sa toute première collection baptisée Rhizome and Dystopia réussit subtilement à briser les clichés sur l’imagerie et l’identité créoles tout en rendant compte de la complexité et de l’abondance de cette culture qui s’étend de la Louisiane américaine aux Antilles, jusqu’au Brésil et au Cap Vert, en passant par la Réunion, Macao et l’archipel des Philippines. Un tour du monde aussi riche et complet que ce jeune garçon ultra-talentueux et polymathe originaire de Saint-Claude en Guadeloupe et passionné de mode, de musique, de design, d’architecture et de sociologie (oui, il a notamment été formé en arts appliqués, design et anthropologie, rien que ça). Pour Mixte, Vincent explique en quatre points majeurs comment il a réussi à mettre sur pied l’une des jeunes marques les plus prometteuses et les plus réfléchies du paysage mode français.

 

1. En se réappropriant le mot « créole »

 

“Si on regarde la définition académique et première du mot ‘créole’, on se rend compte qu’elle est relativement déconnectée de ce que le terme évoque aujourd’hui dans toute sa complexité. Quand l’État français a commencé à légiférer sur le statut des habitants des nouvelles colonies, il les a nommés ‘créoles’. À l’origine, le terme définissait donc simplement une personne blanche née dans les colonies – ce qui est assez surprenant, quand on sait que l’étymologie même du mot ‘créole’ vient du portugais crioulo qui signifiait au xviie siècle ‘serviteur nourri dans la maison’ et désignait les métis utilisés comme esclaves au Brésil. Par extension, le mot a finalement servi dans la langue française à désigner dans les colonies toutes les personnes nées et vivant sur ces terres, y compris bien évidemment les personnes afro-descendantes dont les ancêtres ont été déporté.e.s et esclavisé.e.s. Ce n’est qu’au milieu du xxe siècle que le romancier, poète et philosophe français et antillais Édouard Glissant lui donne une nouvelle signification en théorisant le concept de créolité et de créolisation. Pour lui, la culture créole est ‘une culture rhizome qui, par sa composition, résulte du tout monde’. C’est une définition qui, personnellement, me convient beaucoup plus. La culture créole, c’est avant tout un métissage assez flou et complexe qui est encore marqué par beaucoup de stigmates nés des conditions historiques et sociologiques difficiles dans lesquelles on s’est construit. C’est pour ça que j’ai choisi de nommer ma marque sous la forme de l’acronyme C.R.E.O.L.E pour ‘Conscience Relative à l’Émancipation Outrepassant les Entraves’. Ma démarche est assez manifeste. Mon but est d’essayer de vulgariser à travers le vêtement une histoire très complexe en mettant en lumière certains éléments et certaines références qui y sont associés.

C.R.E.O.L.E collection « Rhizome and Dystopia » : tee-shirt en coton à l’effigie de Christiane Taubira, col roulé en lycra imprimé monogram.
Cropped-top en mesh et slip de bain en lycra imprimé tie and dye.
2. En revisitant et en pimpant le vestiaire masculin créole

 

“L’imagerie créole est trop souvent empreinte de clichés. Il y a tout un tas de photographies de type ethnographique de la fin du xixe siècle qui ont contribué à véhiculer une vision uniquement pensée par et pour l’Europe ; comme une sorte de mise en scène folklorique dont les codes poussés à l’extrême ont occulté une réalité qui n’a jamais vraiment été comprise. En voyant ces photos, j’ai compris qu’on pouvait être une somme de clichés que les gens ont du mal à dépasser. C’est là qu’en faisant des recherches et du sourcing plus poussés sur l’esthétique vestimentaire créole masculine – que ce soit à travers des billets de banques, des cartes postales ou d’autres représentations picturales des Antilles –, je me suis rendu compte qu’il y avait des détails stylistiques hyper intéressants, dont beaucoup de codes associés à certains statuts et métiers : pêcheur, marchand de charbon, primeur, conteur d’histoire, diseur de bonne aventure… ou encore, plus récemment, tous les éléments liés à la culture musicale dancehall et hip hop. Je suis parti de cette amorce pour renouveler le vestiaire créolisé en associant des références déclinées des costumes traditionnels (le macramé, le crochet, la broderie le filet de pêche…), avec des éléments plus actuels et plus techniques (un bomber, du workwear, du sportswear, un hoodie, du denim ou encore un imprimé tie and dye inspiré de la culture rastafari), le tout avec un aspect plus queer et plus gender-fluid notamment inspiré d’une mode masculine plus excentrique qu’on peut le voir durant la période du carnaval : du satin, des couleurs comme le rose ou le baby blue, un jockstrap… Ma proposition est assez simple, au final : il s’agit, par le vêtement, de donner une représentation plurielle de l’homme créole.”

 

3. En redonnant un sens politique et militant au vêtement

 

“Le vêtement a toujours servi à exprimer qui l’on est : le statut social, la classe, la profession… C’est du langage non verbal. Qu’on le veuille ou non, les gens définissent l’identité de quelqu’un par ce qu’il ou elle porte. Et l’appartenance à un groupe et le processus d’identification se font aussi par le vêtement. Je crois d’ailleurs que c’est la première chose qui peut fédérer les gens et véhiculer un message. Regarde les Gilets Jaunes ou les Black Panthers… Sachant ça, je ne pouvais pas passer à côté de certains aspects politiques, sociologiques et écologiques actuels liés aux Antilles et à la culture créole. C’est pour ça qu’on retrouve sur certaines de mes pièces un imprimé inspiré du charançon (cet insecte qui détruit les plantations de banane à la Martinique, ndlr), tout comme un dessin inspiré de la molécule du chlordécone (insecticide et pesticide ultra-toxique utilisé dans les Antilles françaises entre 1972 et 1993 sous les noms commerciaux de Képone et Curlone, pour lutter contre le charançon du bananier, et qui est aujourd’hui responsable d’un scandale sanitaire sans précédent avec une recrudescence de cancers et une forte contamination des sols et des ressources naturelles, ndlr). J’ai aussi fait référence au Bumidom, le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer, qui avait été créé en 1963 par Michel Debré pour pallier le manque de main d’œuvre en Métropole et un fort taux de chômage en Outre-mer (un pan sombre de l’histoire française oublié, aujourd’hui entaché par des scandales d’exils forcés et de déportation, notamment au travers de l’affaire des ‘Enfants de la Creuse’, ndlr). Cependant, j’ai aussi voulu véhiculer des messages plus optimistes comme avec ce tee-shirt à l’effigie de Christiane Taubira, sur le modèle d’une pièce de monnaie et sur lequel il est écrit ‘I don’t want to die without Taubira presidente’ (Je ne veux pas mourir sans que Taubira soit présidente). Elle fait clairement partie des symboles de notre génération.”

Veste et pantalon workwear en coton et chaussettes en coton mélangé.
C.R.E.O.L.E collection « Rhizome and Dystopia » : slip de bain en lycra imprimé monogram.
4. En promouvant l’idée d’une marque inclusive

 

“Pour moi, C.R.E.O.L.E se veut évidemment un travail d’introspection et d’affirmation. Il s’agit de reprendre le contrôle sur notre identité, nos représentations et notre histoire, tout en nous rendant fier.e.s. Cela dit, je ne veux pas que la marque soit uniquement dédiée à la communauté créole et que, du coup, certaines personnes s’en sentent exclues. C.R.E.O.L.E est avant tout un projet inclusif, et sous différentes formes. Déjà, même si ma marque est à prédominance masculine, il y a quand même une tendance relativement fluide, avec des incarnations variées, un panel de beauté plus large et moins standardisé avec des pièces qui sont tout à fait portables par les femmes. Aussi, plusieurs personnes qui ne sont pas issues de la culture créole m’ont souvent demandé si elles pouvaient s’habiller avec mes pièces. Je ne veux pas qu’elles se sentent exclues ou mal à l’aise du fait de porter quelque chose qui n’est pas directement affilié à leur culture ou à leur famille. C’est aussi pour ça que j’ai pensé C.R.E.O.L.E comme un acronyme et que j’ai aussi créé un monogramme avec un sigle composé de six C (reprenant le nombre de lettre dans le mot créole, ndlr), qui agit plus comme un artéfact et qui apporte, je crois, un message plus ouvert que la simple notion de créolité et de créolisation. Pour moi, c’est une démarche qui requestionne le tout en montrant et en célébrant justement une multiplicité d’identités. J’espère que ça servira d’exemple aux nouvelles générations dans le futur pour montrer que tout le monde peut se raconter à sa manière. C.R.E.O.L.E est d’abord une interprétation qui m’est personnelle et qui gravite autour de ma propre histoire en lien avec l’identité et la culture créole. Je ne considère pas avoir la vérité absolue sur la manière de l’incarner.”