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Considérée comme l’une des meilleures chances de médaille de l’escrime française pour les JO de paris, la fleurettiste Ysaora Thibus nous a déjà montré qu’elle était capable de faire évoluer les mentalités sur l’égalité des genres et de briser les tabous sur la santé mentale dans le sport.

Elle est de celles qui déchaînent les passions dans les stades. Sacrée vice-­championne du monde d’escrime en 2013 à seulement 22 ans en équipe de France, on avait bien capté qu’Ysaora Thibus était partie pour marquer l’histoire du sport français. À l’époque, elle est encore étudiante et termine son cursus dans une grande école de commerce. Surdouée aussi bien au maniement du fleuret que sur les bancs de l’école, la jeune femme a quitté sa Guadeloupe natale à 17 ans pour rejoindre l’hexagone après l’obtention d’un bac scientifique avec mention très bien. Sa résolution à mener de front sa carrière sportive et ses études supérieures lui a valu de recevoir en 2013 le Prix Bernard ­Destremau, qui récompense les sportif·ve·s de haut niveau conciliant la compétition avec leur parcours universitaire, là où le commun des mortel·le·s aurait fait un burn-out au bout de deux semaines.

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Dix ans plus tard, Ysaora a remporté quelques dizaines de médailles en équipe et en individuel·le, traversé une dépression post-JO de Tokyo en 2020, décroché une médaille d’or aux Championnats du monde au Caire en 2022, été sacrée Chevalier national de l’Ordre du mérite en 2021, monté la plate forme ­EssentiELLE Stories pour donner de la visibilité aux jeunes athlètes féminines. Elle a aussi été l’égérie de campagnes de mode. Tout ça, bien sûr, en enchaînant des entraînements intenses sur les pistes d’escrime pour rester au sommet de son art et en multipliant les prises de parole brillantes visant à décomplexer la santé mentale dans le sport. Alors qu’elle a été chahutée en février dernier par des accusations de dopage qui auraient pu lui coûter sa sélection et sa participation aux JO de Paris, Ysaora a heureusement et justement été innocentée depuis par le tribunal antidopage. De quoi lui permettre de reprendre avec sérénité et combativité le chemin de la compétition dès ce 18 juin avec les Championnats d’Europe d’escrime à Bâle en Suisse. En plein bouillonnement pré-JO, Mixte est parti à la rencontre de la fleurettiste pour parler sport, santé mentale, dépassement de soi et, bien sûr, mode. En garde ! Prêt·e·s ?

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MIXTE.  Aujourd’hui athlète de haut niveau, tu es également diplômée d’une grande école de commerce parisienne, ce qui t’a valu le prix Bernard ­Destremau. Comment es-tu parvenue à concilier la compétition et tes études universitaires ?
YSAORA THIBUS.
Pour moi, les deux étaient tout aussi importants et challengeants, raison pour laquelle j’ai essayé de les concilier le plus longtemps possible. C’est quand j’ai intégré l’Insep – l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, qui figure parmi les plus grands centres d’entraînement olympiques, ndlr – alors que j’étais en double licence droit et économie à la Sorbonne, que j’ai compris que ça allait être plus compliqué que prévu. J’ai renoncé au droit et terminé ma licence d’économie pour ensuite intégrer l’ESCP. Je révisais mes partiels dans les avions, avant les compétitions et pendant mes rares vacances. Il a fallu faire des compromis et cela m’a demandé un vrai travail d’adaptabilité, mais j’étais déterminée à prouver que c’était possible de concilier la compétition et mes études. Cela m’a amplement motivée à réussir.

M. Qu’est-ce qui t’a poussée à passer au statut d’escrimeuse professionnelle ?
Y. T.
Après avoir terminé cinquième en individuel·le aux Jeux olympiques de Rio en 2016, j’ai eu très envie de refaire une olympiade en me consacrant cette fois totalement à mon sport. C’est aussi à ce moment-là que j’ai rencontré mon compagnon, Race Imboden, également escrimeur, et que j’ai décidé de partir vivre à Los Angeles pour m’entraîner avec lui. J’avais envie de tester le mode de vie d’une escrimeuse professionnelle. Finalement, je me suis rendu compte que j’avais besoin d’autres choses en dehors du sport pour trouver mon équilibre.

M. Tu es arrivée à l’escrime un peu par hasard. Avant cela, tu as pratiqué la danse classique. Qu’est-ce qui t’a séduite dans ce sport ?
Y. T.
Il y a des choses communes à la danse et à l’escrime. La beauté du geste, la technique, le dépassement de soi… Ce qui m’a plu dans l’escrime et qui me manquait dans la danse, c’est l’opposition à un·e adversaire. Il y a aussi un vrai côté ludique. Affronter quelqu’un lors d’un combat c’est établir une stratégie, déjouer un problème et il faut s’adapter sans cesse car il y a toujours quelque chose qui change en face de soi. On peut rencontrer la·le même athlète plusieurs fois, le combat ne sera jamais le même.

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M. En 2022, tu as été sacrée championne du monde de fleuret au Caire. Comment as-tu endossé ce titre ?
Y. T.  
J’ai été traversée par beaucoup d’émotions. J’ai crié, j’ai pleuré, j’étais soulagée aussi, car ce titre, c’était l’aboutissement de mon parcours sportif. Je savais que j’en avais les capacités depuis plusieurs années. J’avais battu une adversaire très forte et ainsi pu exprimer mon niveau en escrime. C’était la réalisation de toutes les choses que j’avais mises en place avant, cela venait fermer une boucle. Et puis, j’avais de l’expérience et la maturité pour accueillir ce titre de championne.

M.  Tu es considérée comme l’un des espoirs majeurs de médaille d’or en escrime pour les JO de Paris 2024. Comment gères-tu cette pression et ces attentes placées en toi ?
Y. T.
Il y a quelque chose de spécial dans la préparation de ces JO-là, d’autant plus que je m’entraîne dans l’Hexagone. Cela dit, la pression fait toujours partie de la préparation. Ce sont mes quatrièmes olympiades, donc j’ai appris à gérer cette période pré-compétition, la pression des médias, des sponsors… Pour ce qui est des attentes, je pense que la personne qui en a le plus, c’est moi-même. Je sais ce que j’ai à faire, je me concentre sur ce que je dois mettre en place pour être au maximum de mon potentiel le jour J. J’ai envie d’être prête, de donner le meilleur de moi-même et surtout, de kiffer le moment.

M. Dans le documentaire Strong, aussi forts que fragiles, diffusé sur Prime Video, tu t’exprimes, aux côtés d’autres athlètes de haut niveau, sur le rapport à l’échec et à la compétition. Comment conçois-tu l’échec aujourd’hui ?
Y. T.
Il y a les échecs et il y a les défaites. L’escrime étant un sport de combat, on est amené·e·s à connaître des défaites régulièrement. À côté de cela, il y a les objectifs que l’on se met parfois et que l’on ne parvient pas à atteindre, ce qui peut être vécu comme un échec. On donne tellement de nous-mêmes dans nos performances que c’est très compliqué de distinguer qui, de l’athlète ou de la personne que nous sommes, a échoué. Comment faire pour que cela n’atteigne pas notre estime de nous-mêmes ? C’est là tout l’enjeu. Pour ma part, j’ai compris, avec l’aide d’une psychologue, l’importance de faire des pauses pour prendre du recul et gagner en lucidité. Le suivi psychologique m’a beaucoup aidée à analyser mes défaites afin de les rendre constructives pour ma carrière.

M. Tu es à moitié anglais et pourtant on t’a assez peu vu dans cette langue, contrairement à d’autres acteurs·rice·s de ta génération totalement français, mais qui sont partis à la conquête de la fiction anglo-saxonne.
F. O.
C’est deux mondes différents. Quand ça marchait bien pour moi, on m’a fait rencontrer une directrice de casting en Angleterre. Il a été question de faire une formation assez lourde. Je ne sais pas si je suis prêt à ça. J’ai un pote qui s’est retrouvé dans une série Star Wars. Il a accompli des choses ici, mais une fois que tu passes de l’autre côté, ça n’existe plus, tu n’es personne, tu repars de zéro. Et tout ça pour finir par jouer le “French waiter” avec un petit accent sexy dans Emily in Paris. C’est difficile de mener les deux de front. César Domboy, par exemple, cartonne à l’international, pourtant en France on ne l’appelle pas forcément pour les premiers rôles.

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M. Entre Coupez ! et Vermines, tu t’associes de plus en plus au renouveau du cinéma de genre en France. Est-ce que ça te tient à cœur ?
F. O.
À la base, pas vraiment. Je me suis plutôt rendu compte en cours de route que ça me plaisait beaucoup. J’ai été marqué par Grave, et aussi par un film qui s’appelle La Nuit a dévoré le monde, qui a moins fait parler de lui mais qui m’a conforté dans mon sentiment qu’il se passait quelque chose de nouveau. Ça représente un cinéma audacieux, c’est très excitant. J’ai été une année jury au festival du film fantastique de Gérardmer, j’ai adoré. Et je prépare actuellement la réalisation de mon premier court-métrage, qui sera un film de genre. Je ne peux pas encore en dire beaucoup plus…

M.  Vermines, sorti en début d’année, est un film d’horreur qui vient plutôt de YouTube en termes de forces vives. Est-ce que tu as ressenti que c’était une nouvelle clique qui apportait un vent de nouveauté ?
F. O.
Clairement, j’ai vu la différence avec un plateau d’Anne Fontaine ! Réussir sur YouTube, c’est très difficile, et je sais que ce qu’ont fait notamment ­FloBer, le scénariste, ou Jérôme Niel, avec qui je suis devenu assez ami, est exemplaire. Après, je n’y suis pas allé dans cet état d’esprit, je ne me disais pas : “Ah, les petits youtubeurs !” J’ai plutôt eu le sentiment d’être avec des passion­né·e·s qui jouaient leur vie. Niel a une immense notoriété, mais il rêve de cinéma. Quant à Vanicek, le réalisateur, pour lui c’est tout ou rien : avant de réaliser, il bossait à Disneyland… Ça, ça me touche.

M. Tu es aujourd’hui l’une des athlètes françaises qui s’exprime le plus sur le sujet de la santé mentale dans le sport. Tu as parlé sans tabou dans les médias de la dépression que tu as traversée après les JO de Tokyo. Qu’est-ce qui t’a amenée à vouloir parler publiquement de cette expérience ?
Y. T.
Je ne comprenais tout simplement pas pourquoi la santé mentale n’était pas un sujet dans les médias et pourquoi le suivi psychologique était tabou chez les athlètes. On nous demande tellement d’être les meilleurs·e·s du monde qu’on finit par se convaincre que nous, les athlètes, n’avons pas besoin de ça. C’est faux et c’est quelque chose qu’il faut à tout prix déconstruire, car la préparation mentale fait aussi partie de la performance sportive. En France, on a aussi encore trop tendance à penser que les athlètes ne sont pas des personnes intelligentes car il·elle·s travaillent avec leurs corps. C’est là encore un préjugé complètement erroné, car dans toute performance sportive il y a un vrai travail d’analyse.

M.  Tu as développé EssentiELLE ­Stories, une plateforme qui met en avant des portraits de femmes dans le sport. Quelle est ton ambition avec ce média ?
Y. T.
L’idée est de continuer à démocratiser le sport pour les jeunes femmes qui souhaitent le pratiquer comme loisir ou activité professionnelle, et de leur donner une visibilité. Il y a encore une trop grande méconnaissance des jeunes athlètes féminines. Ce sont toujours les mêmes qui sont citées dans les médias, Laure Manaudou, Marie-José Pérec, Laura Flessel… Ce sont d’immenses athlètes, mais elles ne sont plus en activité. Avec EssentiELLE Stories, je veux aussi mettre davantage en avant les sujets liés à la santé mentale et l’importance de l’égalité hommes-femmes dans le sport.

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M. Les JO de Paris 2024 seront les premiers jeux paritaires. Sur 10 500
athlètes participant·e·s, il y en aura 5 250 pour chacun des deux genres. Que penses-tu de cette mesure ?
Y. T.
Quand on regarde à l’échelle de l’Histoire, les choses ont avancé par petits pas. Les femmes ont été autorisées à participer aux JO pour la première fois en 1900. 124 ans plus tard, on atteint enfin la parité dans la participation des athlètes. Au-delà, il y a aussi tous les autres corps de métier dans lesquels cette équivalence n’est pas encore réalisée et qu’il ne faut pas négliger comme le staff médical, les fédérations, les journalistes… Aux JO de Tokyo en 2020, j’ai été choquée de constater que seulement 12 % des photographes présent·e·s étaient des femmes.

M. Le thème de notre numéro est l’escapisme. En quoi l’idée d’évoquer ou de se construire un ailleurs est particulièrement pertinente pour toi ces temps-ci ? Est-ce que le sport est en soi une forme d’échappatoire ?
Y. T.
Oui. Quand je suis dans un stade, que j’entends les clameurs, tous ces gens qui nous encouragent, il y a vraiment quelque chose de transcendant. Seule la compétition parvient à me procurer de telles sensations. En plein combat, tous mes sens sont en éveil, je ressens au plus profond de moi mon intuition et mes muscles prêts à répondre à tous les signaux de mon adversaire. C’est une sensation unique et je pense que dans ces moments-là, j’échappe à tout ce qu’il y a à l’extérieur de moi.

M. Tu as été égérie pour une campagne de mode, ton conjoint est escrimeur, mais aussi un ancien mannequin qui s’est mis à la photo… Tu sembles graviter autour du monde de la mode et de l’image. Quel est ton rapport à cet univers ?
Y. T.
Après ma dépression en 2020, j’ai eu besoin de faire une pause pendant cinq mois. C’était le break le plus long de ma carrière sportive. Mon compagnon a lui aussi souhaité se mettre en pause et se rapprocher du milieu de la mode. Nous sommes allés ensemble à un défilé de Thom Browne lors de la fashion week de New York, et j’ai adoré ! J’avais l’impression d’assister à un véritable spectacle. Cette expérience m’a donné envie d’en savoir plus sur ce milieu, et les projets se sont ensuite présentés naturellement. La mode et le sport sont des univers assez similaires. On y retrouve la même recherche du détail, de la perfection, de la singularité… Il y a aussi cet aspect fédérateur, l’idée de rassembler des gens lors de grands événements ritualisés comme les fashion weeks. Et puis, je crois que ça me plaît d’être une sportive dans ce milieu-là, je déconstruis l’idée que les athlètes n’ont pas de goût !

PHOTOS : BILLY KIDD. STYLISME : FRANCK BENHAMOU. COIFFURE : FATOUDIDMYHAIR. MAQUILLAGE : ALEXIA AMZALLAG. ASSISTANT PHOTOGRAPHE : SHANE BURKE. DIGITECH : LORENZO TOUZET @ D-FACTORY. ASSISTANTE STYLISTE : ZOÉ MINARD-LIÉVAIN.

Cet article est originellement paru dans notre numéro Spring-Summer 2024 ESCAPISM (sorti le 1er mars 2024).